• Armes du commando Belouizdad PRÉFECTURE D'ORAN, 0 H 15 

    Pour le préfet Lambert, demain, la journée sera faite de cérémonies, de monuments aux morts, de vins d'honneur et autres réjouissances. Il va passer la porte lorsque le téléphone sonne. Il décroche et, avant d'avoir pu ouvrir la bouche, une voix affolée lui crie : « Allô ! allô ! qui est à l'appareil ? Vite !
    — Mais qu'est-ce qui se passe ? C'est le préfet à l'appareil.
    — Oh ! Excusez-moi, monsieur le préfet, ici, c'est la gendarmerie de Cassaigne. Il ne fallait pas vous déranger, monsieur le préfet, ici, c'est la gendarmerie de Cassaigne. Il ne fallait pas vous déranger, monsieur le préfet.
    — Allez vite, mon vieux, de toute façon il n'y a que moi à cette heure-ci à la préfecture.
    — Des hommes armés viennent d'attaquer deux fermes entre Ouillis et Bosquet.
    — Il y a du grabuge ?
    — On ne sait pas encore !
    — Tenez-moi au courant. »
    Le préfet raccroche. Un chauffeur de taxi tout à l'heure. Deux fermes maintenant. Qu'est-ce que ça veut dire ? Le téléphone grelotte. « Oui. Le préfet à l'appareil.
    — Ici, la gendarmerie de Cassaigne. C'est encore moi. Un homme vient d'être tué juste devant chez nous. Des inconnus armés ont tiré des rafales sur la gendarmerie. On vient de riposter et ils se sont sauvés.
    — Qui est la victime ?
    — Un Européen. Laurent François. Attendez, on m'apporte des nouvelles. Excusez-moi, monsieur le préfet. »
    « Allô ! Oui, monsieur le préfet. A 100 mètres de la commune mixte un gardien vient d'être assommé. On lui a volé son fusil.
    — Mettez tous vos gars sur le pied de guerre. Vous allez recevoir des instructions. Tenez-moi au courant s'il y a du nouveau. »
    C'est du sérieux. Une insurrection armée. Ça ne fait aucun doute. Dans une région aussi calme que l'Oranie une série d'événements aussi graves et aussi groupés ce n'est pas le fait du hasard.
    Lambert empoigne son téléphone.
    « Appelez-moi mon chef de cabinet, dit-il à la standardiste. Et au trot ! »
    « Allô ! Ramenez-vous en vitesse, ça va mal. Y a du grabuge. Convoquez le général Widerspach-Thor, le colonel Dutheil, le procureur et les commissaires des R.G. et Edef ! Tout le monde dans mon bureau. Et vite.»

    ALGER, USINE A GAZ. PRÈS DU JARDIN D'ESSAI. 0 H 45
    Un petit groupe d'hommes discute près d'un camion, au coin de la rue Edmond-About. La rue est sombre. Un rayon de lune éclaire l'arrière du camion. Un Hotchkiss n° 345 BH 91. Kaci Abderrahmane regarde sa montre : « 1 heure moins 10. Allons-y. »
    El-Hedjin Kaddour reste au volant du camion. Guesmia, le vernisseur de Bab-el-Oued, serre contre lui une mitraillette. Lui aussi reste près du camion. Pour la protection en cas de coup dur.
    Les deux Kaci, le neveu et l'oncle, suivis de leurs hommes, vont tenter de faire sauter l'usine à gaz. C'est l'opération la plus risquée. Celle à laquelle Belouizdad avait tenté de s'opposer. En vain. Cet objectif était déjà annoncé au Caire et Bitat s'était montré inflexible.
    Kaci Moktar cisaille la chaîne qui bloque le portail de la scierie Benouiniche. Zoubir Bouadjadj a donné des ordres pour que l'attaque se fasse par ce côté-là. Le « rase-nœuds » de Zoubir fonctionne à merveille. La chaîne, coupée net, tombe avec un bruit clair. La rue est déserte et mal éclairée. Heureusement qu'il y a un clair de lune magnifique sans quoi l'ascension du toit aurait été périlleuse.
    L'un des hommes du commando, Sekat Brahimi, mitraillette au poing, garde le portail. Les autres franchissent le mur d'enceinte. Par bonheur le toit d'un appentis de la scierie arrive presque au faîte de la première enceinte. Le deuxième mur est rapidement franchi. Kaci Abderrahmane, pistolet au poing, veille au pied du mur. Kaci Moktar et Sekat Abdelkader, qui a pour toute arme un marteau glissé dans sa ceinture, pénétreront seuls près des cuves de gaz. Djallel Omar resté à l'extérieur près de Kaci Abderrahmane passe une à une et avec mille précautions - il n'est pas rassuré par ces engins — deux bombes explosives et deux bombes incendiaires à Sekat qui est juché au haut du mur. Puis avec autant de précautions, Sekat les passe à Kaci Moktar qui, lui, a franchi tous les obstacles.
    Les quatre bombes passées, Djallel voit Sekat disparaître. Il vient de sauter au sol, près de Kaci. Les deux hommes prennent deux bombes chacun. Kaci garde son automatique à la main. Il doit y avoir des veilleurs de nuit dans cette usine.
    La grande citerne du réservoir se détache noire sur le ciel bleu nuit. L'échelle ressemble à une toile d'araignée qui part à l'assaut du gigantesque cylindre.
    « C'est là qu'il faut poser la bombe », murmure Kaci.
    Tout est calme. On entend un chien aboyer au loin. Kaci commence l'ascension de l'échelle. Trois mètres suffiront. Il se tient à la main courante pour placer les bombes. Il jette un coup d'œil de l'aune côté de l'enceinte. Des lumières brillent à la fenêtre d'une cabane à la grille principale. Certainement le veilleur. Toute cette zone eK éclairée par les cônes de lumière de l'éclairage public. Les ampoules se balancent au bout des câbles. Des zones passent de la lumière à l'ombre puis à la lumière. Kaci pense que Bouadjadj a bien fait dfl revoir le plan d'attaque. Par là-bas, c'est impossible. Les quatre cylindres grossiers des bombes fabriquées chez El-Hedjin ou chez Guesmia sont maintenant placés contre la paroi noire de la citerne. Kaci bat son briquet. La flamme jaillit qu'il approche des quatre mèches à combustion lente. Une légère brise active la combustion. Quatre points rouges grésillent au flanc du réservoir à gaz. « Ça y est. Filons ! »
    Kaci a sauté d'un bond par terre. Leur souplesse, leur rapidité sont décuplées par le désir de fuir au plus vite. Ni Kaci ni Sekat n'ont idée des résultats que peut produire l'attentat. L'immense cuve va-t-elle exploser ?
    Les deux hommes franchissent d'un bond la deuxième enceinte.
    Kaci Abderrahmane glisse son pistolet dans sa ceinture et se joint à eux pour franchir la première, plus haute, plus difficile. Les hommes se font la courte échelle. Sekat, resté le dernier, est hissé à bras d'homme par Kaci Moktar. Ils dévalent le toit de la scierie et se laissent glisser au sol. Sekat Brahimi, de garde au portail, a fait signe au camion. El-Hedjin lance le moteur. Cavalcade. Guesmia couvre la fuite de ses camarades en braquant sa Sten en direction de l'autre bout de la rue. Il a le doigt crispé sur la détente. Le commando Kaci se rue sur le plateau du camion. On rabat la bâche qui couvre les ridelles. Le Hotchkiss démarre. Guesmia le prend au vol et claque la portière. Le camion tourne dans la rue Sadi-Carnot. L'explosion retentit. Instinctivement Kaci a rentré la tête dans les épaules. Mais rien d'autre ne se produit. Il écarte la bâche. Nulle lueur d'incendie n'éclaire le ciel. Il y a eu tout de même l'explosion. Le camion gagne rapidement le ravin de Femme-Sauvage où les hommes doivent se séparer. Kaci ne voit toujours rien.

    ALGER. IMMEUBLE DE LA RADIO, RUE HOCHE, MÊME HEURE
    Une Simca immatriculée 281 X 91 stationne depuis une heure rue de Cambrai. Son propriétaire, Chaal Abdelkader, que tout le monde appelle Flora, est au volant. Il fait partie du commando Merzougui. Celui-ci l'a prévenu vers 20 heures. Tous les hommes du commando sont restés ensemble jusqu'à 23 heures puis chacun a gagné par ses propres moyens le lieu de rendez-vous. Merzougui a préféré que les hommes se séparent car le commando est important et « huit hommes arrivant ensemble en plein centre d'Alger, a dit le chef, ça risque d'attirer l'attention. » Flora, lorsqu'il est arrivé rue de Cambrai, à deux pas de la rue Michelet, s'est dit que l'opération était impossible. C'était la sortie des cinémas qui sont particulièrement nombreux dans cette fraction de la rue Michelet et puis un dimanche soir les « Champs-Elysées d'Alger » sont particulièrement fréquentés. On se promène, on regarde les vitrines.
    Un par un, fondus dans la foule, les hommes du commando sont arrivés. D'abord Toudjine Abderrahmane, puis Merzougui avec ses bombes dans un couffin : deux explosives, une incendiaire et un bidon d'essence, enfin Adim Mohamed. Tous sont rentrés dans la Simca.
    « Tu as vu le monde ? dit Flora à Merzougui. C'est impossible de mettre les bombes. On est à quelques dizaines de mètres de la rue Michelet.
    — Aucune importance, répond celui-ci, et puis tu verras à 1 heure, il n'y aura plus personne dans les rues. »
    Flora, regardant son chef, pense que l'excitation lui donne une tête extraordinaire. Merzougui est tendu, sa peau rosée collant aux os fait ressortir les taches dont son visage et son cou sont parsemés.
    A 0 h 50, Merzougui sait qu'il a eu raison. Les rues sont presque désertes. Avant de quitter la voiture il arme son mauser 9 mm qu'il glisse dans sa ceinture. Flora en fait autant. Ni Toudjine ni Adim n'ont d'armes.
    « Ne vous en faites pas, leur dit Merzougui, le commando de Madani nous couvrivra en cas de pépin. »
    De tous les objectifs algérois, Radio-Alger est le plus risqué ; c'est pourquoi Merzougui a scindé son commando en deux. La rue Hoche où se trouve l'immeuble de la radio est en plein quartier résidentiel européen. Là il n'est pas question de hangars déserts ou d'immeubles de bureaux, tous les immeubles sont habités et le quartier est très fréquenté. Les hommes risquent de tomber sur des passants noctambules, sur des veilleurs de nuit ou tout simplement sur un car de police faisant sa ronde dans te quartier où les magasins de luxe succèdent aux bijouteries et aux succursales de banques.
    « En route ! » Merzougui va le premier, suivi d'Adim qui tient le couffin aux bombes et de Toudjine. Flora ferme la marche. Il a la main sur la crosse de son pistolet. Rue Courbet, la deuxième partie du commando Merzougui attend. Il y a là Madani Abassi, Boutouche Omar, Belimane Mohamed et Djeffafla Mohamed. Tous sont armés. Ils forment le commando de protection extérieure. Les huit hommes arrivent à la place Hoche. Une petite place provinciale, toute ronde, avec au centre un gazon et des fleurs entourés d'un grillage bas. Et au beau milieu, énorme et ventru, un vieux gros palmier dont les branches immenses cachent du haut de la rue Hoche la seconde partie de la voie, celle où il y a la radio. Grâce à lui une patrouille de flics passant rue Michelet ne peut distinguer ce qui se passe au bas de la rue. Merzougui n'a pas négligé ce détail.
    L'immeuble de la radio se trouve en face du lycée Gautier, le plus chic et le plus snob d'Alger. On n'y voit pas beaucoup de musulmans. Plus qu'un immeuble, c'est un petit hôtel particulier qui abrite Radio-Alger. C'est vraiment la radio coloniale et artisanale. On parle depuis longtemps d'un grand « ensemble » boulevard Bru mais c'est toujours de la rue Hoche que partent les programmes.
    Merzougui connaît la disposition des lieux. Deux corps de bâtiments à deux étages séparés par une cour grillagée. Des grappes de bougainvillées violettes et pourpres dégringolent jusqu'au sol, cachant la tôle grise qui protège la cour des regards indiscrets. Dans la partie de droite deux fenêtres sont encore éclairées. En un instant Merzougui a compris qu'il était vain de vouloir pénétrer dans l'immeuble. Il libère l'équipe Madani.
    « Plus besoin de vous. Filez. Je vous contacterai moi-même.»
    Les quatre hommes s'éloignent. Adim passe une bombe incendiaire et le bidon d'essence à Merzougui qui les place devant une fenêtre du rez-de-chaussée. Toudjine pose une bombe explosive sur le rebord de l'autre fenêtre, Flora place la seconde sur le pas de la porte. Merzougui jette un coup d'ceil à sa montre.
    « 1 heure pile ! On peut y aller.»
    Merzougui et Toudjine mettent le feu à la mèche et fuient en direction de la Simca. Flora, affolé, n'a pas allumé sa mèche. Son allumette a cassé. Il se relève pour fuir, fait deux pas, puis revient, et fébrilement allume la mèche. Cette fois, elle grésille...

    ALGER, PÉTROLES MORY, MÊME HEURE
    Le petit Belouizdad sait que son plan d'attaque des pétroles Mory est parfait. Bitat le lui a fait savoir. Il a aussi grande confiance dans son équipe : Mouloud Ben Guesmia, Ben Slimane Youssef, Herti Mohamed et Aïssa.
    « Ce soir, pense Belouizdad, on doit faire du bon travail. »
    Les pétroles Mory se trouvent rue de Digne, sur les quais du port. Vastes hangars et cuves astiquées. Belouizdad veut faire exploser un petit réservoir qui contient 8000 tonnes d'essence. Si cette cuve explose, les 30 000 tonnes du dépôt doivent ensuite flamber, endommageant la centrale électrique du port, Parrière-port et les quais sillonnés de pipe-lines. Il faudra faire vite car les entrepôts sont étroitement surveillés par les gardiens de nuit mais surtout par le service de sécurité.
    Belouizdad, qui est de loin le plus intelligent des chefs de commando de Bouadjadj, a voulu mettre tous les atouts de son côté. Il ne veut pas se servir d'un véhicule appartenant à un homme de son équipe ou à un proche. Comme dans les hold-up, on se servira d'une voiture volée. Il a repéré une Juvaquatre Renault qui tous les jours stationne à la même place rue Marey. A minuit il s'est installé au volant. Ben Guesmia, Ben Slimane et Herti l'ont poussé en silence pour que le démarrage n'alerte pas un éventuel propriétaire à l'oreille sensible. Puis, boulevard de l'Amiral-Guépratte, ils ont embarqué Aïssa. Avant de monter en voiture celui-ci a pris les deux bombes explosives et la bombe incendiaire dissimulées dans un camion abandonné.
    Dans la voiture, Aïssa sort la MAT qu'il tenait serrée contre sa poitrine.
    « Tu es prêt ? dit Belouizdad.
    — Prêt. »
    Il sort la crosse coulissante, glisse un chargeur dans la culasse.
    « Je l'armerai en sortant ! » Aïssa sait combien une MAT armée est dangereuse. Un cahot violent et voilà le chargeur parti sans qu'on ait touché à la détente.
    Belouizdad a un pistolet 9 mm. Les autres n'ont qu'un simple poignard.
    La Juvaquatre a gagné tranquillement les quais. A 0 h 50, Belouizdad et ses hommes sortent de la Renault. Chacun connaît parfaitement le rôle qu'il doit jouer. Aïssa reste près de la voiture et couvre de sa mitraillette l'enfilade de la rue pour l'instant déserte. Ben Guesmia et Belouizdad grimpent sur le mur. Belouizdad saute de l'autre côté. Ben Slimane passe les bombes à Ben Guesmia juché sur le faîte du mur d'enceinte. Belouizdad, au sol, les reçoit l'une après l'autre. Le point de franchissement de l'enceinte a été soigneusement choisi. Belouizdad est à pied d'oeuvre. Devant lui s'élève la citerne aux 8 000 tonnes d'essence. Le chef du commando passe la main sur l'acier de la cuve. Du solide, bien épais. Trop épais. Il a peur que la bombe ne soit pas suffisamment puissante. A quelque cinquante mètres de l'autre côté du réservoir les fenêtres d'un bâtiment sont éclairées : le service de sécurité. Belouizdad se hisse sur la margelle entourant la cuve, place ses deux bombes explosives, branche la bombe incendiaire. Un coup d'oeil à sa montre. 1 heure. La même flamme sert à allumer les trois mèches. Belouizdad se laisse tomber de la cuve et bondit vers le mur. Herti l'attend, l'aide à le franchir. Le commando se précipite vers la Juvaquatre qui démarre. La première explosion, suivie de deux autres, les surprend.
    « J'aurais cru que cela ferait plus de bruit, dit Ben Guesmia.
    — On verra bien demain dans les journaux ou à la radio si on a réussi ! »
    A 1 h 30 la Juvaquatre est à nouveau à son parking habituel rue Marey. Son propriétaire ne saura jamais que sa voiture a « participé » à l'insurrection du 1er novembre.

    ALGER, CENTRAL TÉLÉPHONIQUE DU CHAMP-DE-MANŒUVRE, MÊME HEURE
    Deux hommes avancent sur l'esplanade du Champ-de-Manœuvre. L'un a refermé frileusement sa veste sur sa poitrine, col relevé malgré le temps exceptionnellement doux. L'autre tient avec précaution un couffin de chanvre. Sous la veste de Bisker Ahmed il y a une mitraillette, crosse repliée, dans le couffin de Mesbah deux bombes. On ne peut pas dire que Bisker remplisse sa mission avec un enthousiasme débordant. Il était plus de 22 heures lorsqu'il s'est décidé à contacter les hommes de son commando alors que les ordres étaient de le faire vers 20 heures au plus tard. Ses compagnons couchent souvent sur les escaliers de la Mosquée de Belcourt. A 22 heures il n'y avait personne. Ce n'est qu'à minuit que Bisker, après maintes allées et venues, a réussi à récupérer trois hommes: Mesbah, Benaï et Braka. Ils ont à peine eu le temps de passer chez Bisker prendre trois bombes et la mitraillette, leur seule arme, qu'il était presque l'heure d'agir.
    « On se retrouve au Champ-de-Manœuvre, a dit Bisker à Braka et à Benaï, devant la pissotière de la rue de Lyon. »
    0 h 5. Les quatre hommes se sont retrouvés. Bisker est silencieux.
    « Qu'est-ce qu'on fait, dit l'un d'eux, on attend s'il se passe quelque chose aux autres objectifs ?
    — Restez là, dit Bisker, je vais voir encore une fois les lieux... »
    Et le chef du commando se dirige à pas lents vers le central téléphonique. Deux de ses hommes profitent de cet instant de répit et de la proximité de l'urinoir pour soulager une vessie que l'angoisse contracte singulièrement.
    Bisker coupe par les jardins, passe devant la grande bâtisse néo¬grecque du Foyer civique où les gosses vont s'entraîner à la boxe. Le central se trouve à gauche. Bâtiment ocre de quatre étages. Les fenêtres du rez-de-chaussée surélevé sont solidement grillagées et barrées de fer. Une double grille à deux battants ouvre sur un petit chemin intérieur. C'est par cet immeuble que transitent toutes les communications d'Alger. Comme pour tous les centres de télécommunications, l'accès de celui d'Alger est interdit au public. Bisker imagine que l'intérieur de ce « cerveau » d'Alger est bien gardé. Il n'a nulle envie, malgré l'absence de gardes, de fracturer la serrure de la porte grillagée. Les bombes sur le rebord de la fenêtre ça ira bien ! D'ailleurs Bisker regarde sa montre. Il n'a plus le temps de faire autre chose. Il s'apprête à rejoindre ses hommes lorsqu'il entend trois explosions qui viennent du port tout proche. Belouizdad a été plus rapide. Affolé, Bisker prend ses jambes à son cou, passe devant l'urinoir de la rue de Lyon.
    « Tirez-vous, crie-t-il sans s'arrêter, c'est trop tard. Filez... »
    Et il est déjà parti. Seul. En direction de Belcourt.
    Quant à Nabti Sadek, le cinquième chef de commando d'Alger, dont l'objectif est de détruire le dépôt de liège de Borgeaud, à Hussein-Dey, au-dessus d'Alger, il s'est senti si mal dès que Merzougui lui a appris l'heure H que ce soir du 31 octobre il a jugé qu'il était plus sage pour sa santé de ne point quitter sa chambre...

    ALGER, LE BOIS DE BOULOGNE, 1 H 10
    Le bois de Boulogne est le plus grand parc d'Alger. Il s'étend sur un plateau au-dessus du palais d'Été et domine la capitale de sa masse verdoyante. C'est la pampa, le Far West des gosses qui y jouent toute la journée, le dimanche le petit peuple d'Alger y pique-nique. Le soir venu c'est le rendez-vous des amoureux.
    Zoubir Bouadjadj n'y attend pas sa dernière conquête. Il est venu s'installer sur un banc d'où il découvre le panorama extraordinaire qu'offrent Alger et sa baie qui scintille sous les rayons de la lune. Mais l'une des plus belles vues du monde ne peut cette nuit l'émouvoir. Puisqu'il n'a pu participer à l'attaque d'un objectif il veut au moins assister aux explosions, voir les premières flammes des incendies, les panaches de fumée qui vont s'élever sur la ville endormie.
    Depuis dix minutes il scrute les lumières vacillantes de la ville, il écoute ses rumeurs. Rien, pas la moindre explosion. Pas la moindre flamme. Pourtant l'attentat aux pétroles Mory, les bombes contre l'usine à gaz doivent provoquer un joli feu d'artifice et les sirènes des voitures de pompiers devraient parvenir jusqu'à lui. Rien. La rumeur paisible de la ville endormie, troublée par un train qui passe... quelques voitures plus proches... et c'est tout.
    A 1 h 30, Bouadjadj, démoralisé, rentre chez lui. Des mois de préparation, des dizaines de kilos d'explosifs fabriqués au prix de la vie des artificiers, une plate-forme politique établie à grand-peine, des semaines d'efforts, d'inquiétude, tout cela pour venir passer trois quarts d'heure au bois de Boulogne, sur un banc, à contempler une ville désespérément calme.
    A l'énervement de l'attente a succédé l'abattement de l'échec. Car Zoubir Bouadjadj ne se fait pas d'illusions, les plans minutieusement préparés, les hommes entraînés, les bombes soigneusement dosées, tout cela a échoué. Lamentablement échoué. 

    A suivre…
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  • La Casbah festoie

    La Casbah festoie

    ALGER/ CASBAH, 1962 , la jeunesse de la vielle Citée ,arbore fièrement et fiévreusement, dans l'espoir d'une vie meilleure , le Drapeau identitaire,vert,blanc,rouge pour lequel s'est levé, sous la bannière de résistants et de résistantes d'exception,tout le Peuple Algérien!


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  • L’INSURRECTION 1/4OULED-MOUSSA, AURES, DIMENCHE 31 OCTOBRE 1954, 19H 30
    Ben Boulaïd a établi son P.C. de campagne dans une des nombreuses grottes des Beni-Melloul où le maquis sauvage qui couvre de sa lèpre les pentes de l'Aurès se transforme en forêt compacte, impénétrable, où les frondaisons protègent des observations aériennes qui ne vont pas manquer dans quelques heures. Chihani a voulu diriger un commando d'une dizaine d'hommes qui ne vont peut-être pas intervenir cette nuit à 3 heures. Ils vont dresser une embuscade dans les gorges de Tighanimine, entre Arris et Biskra. Les ordres sont de stopper toute circulation sur la route et de tuer les musulmans dont on connaît les sympathies profrançaises après les avoir sondés sur leurs intentions. A moins, bien sûr, qu'ils ne passent à la rébellion !
    Un deuxième commando va faire la route avec Chihani. Sa mission est de harceler et d'attaquer la gendarmerie de T'Kout, petite localité où vivent une dizaine de gendarmes et leurs familles.
    « Il faut, a dit Ben Boulaïd, que le cœur de l'Aurès, d'Arris à Tiffelfel et même à Biskra, soit coupé du reste du monde. Il faut qu'on ait peur pour cette région à Batna. »
    Les hommes de Grine Belkacem doivent déjà être en place et tiennent les crêtes au-dessus d'Arris. Un commando léger coupera tout moyen de communication téléphonique entre Arris et Batna, et isolera complètement T'Kout.
    Trois autres commandos vont tendre de petites embuscades au pont d'Afra, dans le douar Ichmoul et à Médina dans l'oued el-Abiod où doit passer le collecteur d'impôts. On fera ainsi coup double.
    La plupart des commandos ont une vingtaine de kilomètres à parcourir à pied dans le djebel. Il est temps qu'ils partent.
    Adjel Adjoul reste avec son chef. Eux aussi ont un long parcours à effectuer avant de gagner le P.C. des Beni-Melloul. Tous les hommes de l'A.L.N. ont déjà disparu dans la nuit lorsque les deux hommes quittent la ferme de Baazi. Il ne reste de leur passage que des litières de paille froissée et, dans la grange, un trou étayé de planches jonchées de chiffons gras avec, au fond, un mousqueton hors d'usage.
    Ben Boulaïd a lâché ses hommes, ses Chaouïas. Il ne reste plus qu'à attendre les réactions. Dans la cache des Beni-Melloul il y a un gros poste à piles sèches qui va beaucoup servir. Le chef de la zone 1 a hâte d'entendre les Français annoncer au monde stupéfait la rébellion de l'Algérie.

    ENTRE BLIDA ET BOUFARIK (ALGÉROIS), 23 H 30
    Une sentinelle tourne comme un ours en cage sur l'étroite plateforme du mirador qui surveille les alentours de la caserne de Boufarik, sur la route de Blida. Ouamrane, aplati sur le sol, rampe protégé par les troncs des orangers. Il fait signe à ses hommes d'avancer de la même manière.
    La sentinelle vient d'allumer le projecteur et balaye lentement la lisière de l'orangeraie. Le puissant faisceau passe et repasse. L'homme scrute attentivement le petit bois odorant. Ouamrane a l'impression de s'incruster dans le sol tellement il s'aplatit. Il s'est réfugié dans l'axe d'un gros oranger. Le rayon passe à plusieurs reprises, l'éclairé, mais la sentinelle ne voit rien. Un claquement sec et le projecteur s'éteint. Il faut un certain temps à Ouamrane pour se réhabituer à la nuit. Un coup d'œil à sa montre : 23 h 40. Encore vingt minutes et ce sera l'attaque. Ouamrane veut piller le magasin d'armes. Il y a, bien sûr, le poste de police, mais c'est le caporal-chef Saïd Ben Tobbal, le frère de l'adjoint de Didouche, qui a pris le service ce soir. C'est grâce à sa complicité que l'opération est possible. C'est lui qui ouvrira la porte et aidera à maîtriser les sentinelles. Après le pillage, retrait sur Chréa, dans la montagne qui domine Blida, où Ouamrane doit retrouver Bitat.
    Á quelques kilomètres de là, les cent hommes de Bitat, secondé par Bouchaïb, sont dans la même situation. Encore vingt minutes à attendre. Dans la caserne Bizot, à Blida, le caporal fourrier Khoudi est nerveux. Il sort du poste de garde et regarde sa montre.
    « Ce n'est pas encore ton tour de garde, dit le sergent de service.
    - Je sais, sergent, mais il fait trop chaud cette nuit. Et on a déjà les tenues d'hiver. Alors je préfère prendre l'air. »
    Le caporal fourrier imagine le commando dissimulé dans le lit de l'oueb el-Kébir. Lui aussi est avec eux. Dans vingt minutes, ils surgiront et il leur donnera toutes les indications pour piller le magasin. « Tout doit bien aller, lui a dit Bouchaïb, et après tu files avec nous dans la montagne de Chréa. »
    A Boufarik, Ouamrane voit Souidani accroupi dans un fossé d'irrigation, prêt à intervenir.
    « Prêt ? murmure Ouamrane.
    - Prêt, répond Souidani confiant. Ça va aller. »
    Il faudra faire vite pour se replier. Des groupes veillent dans les environs. Ils doivent poser des bombes réglées pour 2 heures du matin sur la route, dans les hangars de la coopérative de Boufarik et dans ceux de la Cellunaf où est entreposé le stock d'alfa de Baba-Ali. En explosant deux heures après l'attaque des casernes ces bombes devront parachever la psychose de panique créée par les attaques en règle de points importants.
    Ouamrane étreint la crosse de sa MAT. Il sent le canon de son pistolet autrichien, celui qui ne l'a jamais quitté depuis sept ans qu'il a pris le maquis, lui entrer dans le ventre. Recroquevillé près du tronc d'arbre, la position est inconfortable. Encore un quart d'heure. Ouamrane a l'impression d'être là depuis trois heures. Son cœur bat à grands coups, non à l'idée d'attaquer la caserne - les années de maquis lui ont forgé un sang-froid à toute épreuve - mais à la pensée que dans quelques instants va commencer la révolution algérienne.

    PRÉFECTURE D'ORAN, 23 H 30
    Le préfet Lambert pense qu’Oran est vraiment privilégié. Il est remonté dans son bureau pour mettre à jour quelques dossiers. Il s'est à peine plongé dans son travail que le téléphone sonne.
    « Allô ! Monsieur le préfet, ici, c'est Édef. »
    M. Édef est le commissaire central d'Oran. Un musulman.
    « Oui. Qu'est-ce qui se passe, Édef ?
    - On vient d'assassiner un chauffeur de taxi !
    - Où ?
    - Rue José-Maranal. Les gars l'ont tué à coups de pistolet et ont balancé le corps sur le trottoir avant de s'enfuir avec le véhicule.
    - Crime crapuleux ?
    - Sans aucun doute.
    - Prenez les mesures qui s'imposent, barrages de gendarmerie et de police pour retrouver le véhicule. Et les gars. »
    Le préfet Lambert pense que vraiment Oran est une grande ville bien calme. Il ne s'y passe jamais rien. Et l'assassinat d'un chauffeur de taxi vaut que l'on dérange le préfet !
    A une cinquantaine de kilomètres de là, sur le bord d'une petite route du Dahra, les hommes de Ben M'Hidi sont en embuscade. Ben M'Hidi et Ramdane Abdelmalek, un des participants à la fameuse réunion des Vingt-deux, sont désespérés. Ils ont peu d'hommes et pratiquement pas d'armes. Une caravane qui devait venir du Rif a été interceptée. Il était trop tard pour prévenir Krim ou Ben Boulaïd. Car Ben M'Hidi sait à quel point Bitat est démuni. Seuls les chefs de l'intérieur auraient pu le dépanner. Ramdane Abdelmalek a décidé de réaliser tout de même les embuscades. Deux en tout et pour tout. L'une contre le transformateur d'Ouillis, à l'est de Mostaganem, et les fermes qui l'entourent, l'autre contre la gendarmerie de Cassaigne, petit centre agricole du Dahra. Ils ont une dizaine d'armes à se partager. L'heure H est fixée à minuit.
    Ni Ben M'Hidi ni Ramdane Abdelmalek n'ont parlé d'attaquer un taxi à Oran. Comme les autres chefs de l'insurrection, ils ont transmis les ordres formels « ne pas attaquer les civils européens ». Les ordres seront suivis.
    Et le chauffeur de taxi assassiné à Oran ? Il s'agit bien d'un crime crapuleux.

    ENTRE BOUFARIK ET BLIDA (ALGÉROIS), 23 H 45
    Ouamrane et Souidani ont réussi leur mouvement tournant. Ils sont à quelques pas du poste de garde de la caserne. Les hommes sont dissimulés pour une part dans l'orangeraie, pour l'autre dans les fossés, derrière des buissons. Encore quinze minutes et le caporal-chef Saïd Ben Tobbal sortira sur le pas de la porte du poste de garde.
    L'explosion plaque Ouamrane à terre. Par réflexe il s'est aplati. Une deuxième, puis une troisième explosion trouent la nuit.
    Ouamrane comprend en un éclair. Ce sont les groupes qui devaient faire exploser les bombes sur la route et près du pont qui se sont trompés d'heure. Ou plutôt qui ont dû paniquer. Car, Ouamrane en est persuadé, dans de pareilles circonstances on ne se trompe pas de plus de deux heures.
    Au lieu de « parachever la psychose de terreur chez les Européens » c'est parmi les groupes d'assaut que les saboteurs trop pressés viennent de semer la panique. Des hommes se sont dressés, ne sachant que faire. Du côté du poste de garde un brouhaha insolite signale que l'alerte est donnée. Le projecteur du mirador s'est allumé. Des hommes détalent. Ouamrane a bondi vers l'entrée de la caserne suivi de Souidani et de quelques militants. Les sentinelles sont assommées. Ils entrent dans le poste de garde. « Haut les mains, Ne bougez pas ! »
    Les soldats à moitié endormis sont stupéfaits. Souidani, Ouamrane et le caporal-chef Ben Tobbal raflent les armes. 4 mitraillettes et 6 fusils. Les hommes de l'A.L.N. sont dans la cour, protégeant leurs chefs d'une éventuelle attaque.
    « On décroche », crie Ouamrane. Tout le monde se sauve lâchant quelques rafales. Mais personne ne les poursuit. Tout s'est passé trop vite. Pour le commando d'Ouamrane c'est l'échec. Les explosions prématurées ont paniqué les hommes qui n'étaient pas encore habitués au combat et que l'attente a considérablement énervés. Il n'a pas été question de piller le magasin d'armes.
    La petite troupe se scinde en plusieurs groupes qui, à pied, évitant l'agglomération de Blida, gagnent la montagne de Chréa au-dessus de Bouinan.
    « Pourvu que Bitat ait mieux réussi », pense Ouamrane.
    Le chef de l'Algérois a vu de son côté se dérouler le même spectacle. Désespérant. A quelques kilomètres de distance le même scénario s'est produit. A cette exception près : Bitat n'a pas pu se procurer d'armes et un accrochage l'a opposé aux forces françaises. Il y a eu trois morts et plusieurs blessés parmi les hommes de l'A.L.N. qui tentaient de gagner l'abri de la forêt de Chréa.
    Lorsqu’Ouamrane parvient à mi-pente de la montagne, en lisière de forêt, il peut distinguer au loin, à Boufarik, la lueur d'un incendie et des nuages de fumée. C'est la coopérative qui brûle.
    Avec quatre mitraillettes et six fusils, c'est le maigre bilan d'une opération qui devait créer une psychose de peur dans l'Algérois. L'opération improvisée par les Kabyles et Bitat après la défection des militants de l'Algérois n'a pas été payante. Manque de sang-froid et d'organisation. Ouamrane n'a plus qu'une idée en tête : regagner rapidement la Kabylie pour y continuer le combat. L'opération « dénigrement » menée par Lahouel a porté ses fruits.

    A suivre…
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    2 commentaires
  • chouia

    Camps de regroupement

    À partir de 1957, les autorités françaises en Algérie décide de mener la guerre contre le FLN sur un autre terrain, celui de privée les fellaghas des moyens logistiques qui retrouvent au-près de la population (nourriture, abri...), Pour cela, des zones interdites sont établies, aux Aurès en grande partie, cette femme mère Chaouia, privée de sa terre, privée de son bétail, se retrouve admise dans un camps de regroupement, semble entouré d'un brouillard qui l'empêche bien malgré elle de savoir sont destins et celui de ses enfants.


    7 commentaires
  • Abdelhamid MEHRI, raconte l'histoire de l'explosion du magasin de BATNA

    Une explosion gigantesque dans un magasin de chaussures face à une commissariat de Batna aurais pu avoir des conséquences catastrophiques sur le MTLD et aurais porté un coup fatale à l'OS et à la révolution en préparation, une affaire qui serait mystérieusement camoufles, les détails évoques par Abdelhamide mehri à l'époque membre du CC.


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