• Ben Boulaïd, un message d'union avec ses mainsJacques Soustelle empoigne le problème algérien à bras-le-corps. Pour l'instant, il est le nouveau gouverneur de l'Algérie.

    Prendre connaissance des problèmes, Soustelle y est bien décidé. Pendant les trois semaines qui se sont écoulées entre sa nomination par Mendès et sa «confirmation» par le «pressenti» Edgar Faure, le nouveau gouverneur a déjà constitué à Paris avec ses collaborateurs un dossier complet sur la situation en Algérie. Catastrophique. A la « rébellion » du 1er novembre -la vérité des pétards à Alger, seul l'Aurès bouge réellement- l'administration a répondu par une répression aveugle et sans jugement: tout ce que les fichiers des Renseignements généraux comptaient comme membres du M.T.L.D., parti nationaliste de Messali El-Hadj, a été mis en prison. A tout hasard ! Et on a interdit le M.T.L.D.

    « Il faut absolument voir ces gens en prison. Et les en faire sortir.»

    L'homme qui parle ainsi, dans le bureau du ministère de l'Intérieur où Soustelle examine la situation et tente de constituer une équipe « valable », s'appelle Vincent Monteil. Il est commandant, mais on le voit rarement en uniforme. Spécialiste des questions musulmanes il parle l'arabe et les dialectes de la région. L'Algérie le passionne. Sur les conseils de Mendès France, Vincent Monteil a vu Soustelle pour partir avec lui. Le nouveau gouverneur général l'a enrôlé dans son équipe dont il constituera l'aile gauche. Il en sera aussi le thermomètre. L'homme de la compréhension et non de la répression. Car Soustelle veut discuter. Il veut savoir. Lorsqu'il part pour Alger, il est conscient des injustices qui ont poussé une poignée d'hommes à se révolter. Il s'agit maintenant de réduire ces injustices, d'appliquer des réformes, de rétablir l'ordre avant que tout le pays s'embrase.

    Ce 15 février 1955. on a apporté un télex chiffré à Jacques Soustelle : « L'un des principaux chefs de la rébellion dans l'Aurès a été arrêté à la frontière tuniso-libyenne par des éléments français. Il a été transféré à Tunis. » Il s'agit de l'un des six organisateurs du 1er novembre 1954 : Mostefa Ben Boulaïd! Pour la D.S.T., qui a pris en charge le chef rebelle, la prise est de taille. Mais pour Soustelle, cette capture va être d'une importance extrême. Il va pouvoir avoir le contact direct avec l'un des chefs de la rébellion, savoir ce qui les guide, ce qui soutient le mouvement, quel a été le détonateur de la révolution.

    « Il faut voir cet homme, dit Monteil. Il me semble qu'aujourd'hui je serais plus utile à Tunis qu'à Alger.

    — Oui. Partez. Voyez ce Ben Boulaïd, dit Soustelle, tirez-en le maximum, mais rejoignez-moi vite. Je vais avoir besoin de vous. »

    Vincent Monteil quitte pour Tunis, muni d'un ordre de mission officiel. Cette initiative lui sera vivement reprochée plus tard par la D.S.T., lorsque la révolution en sera arrivée à un point tel que tout contact avec l'adversaire sera considéré comme une trahison et que l'engrenage répression-terrorisme-contre-terrorisme aura creusé un fossé infranchissable entre les deux communautés. Mais en ce mois de février 1955, tout peut encore s'arranger.

    C'est le 16 février qu'a lieu, dans une villa de la banlieue de Tunis, le premier contact entre un représentant du gouvernement français, Monteil, et un prisonnier membre du tout nouveau F.L.N. qu'en Algérie on appelle encore le C.R.U.A. (Comité révolutionnaire d'unité et d'action). Il est 14 h 30 lorsqu'un inspecteur de la D.S.T. donne à Vincent Monteil une liasse de documents saisis sur Ben Boulaïd.

    « Il s'est fait passer pour Tripolitain lorsqu'on l'a arrêté, précise le fonctionnaire, mais grâce à cela on s'est aperçu rapidement que ce n'était pas n'importe qui. »

    En effet, à la lecture rapide des documents, Vincent Monteil découvre une révolution plus importante qu'il n'aurait pu le penser. Des directives ronéotypées, des comptes rendus de  « crimes », d'« expéditions punitives » contre les musulmans les plus pro-Français, des projets d'attentats s'étalent sur le bureau. Monteil ignore que Ben Boulaïd est l'un des chefs les plus importants du F.L.N., qu'il a été avec Ben M'Hidi le moteur, le leader de la révolution. Au 1er novembre, le secret a été bien gardé et les identités dissimulées, même pour les participants, sous des surnoms. En revanche, la D.S.T. sait que Ben Boulaïd est la personnalité nationaliste la plus représentative de l'Aurès. Les papiers saisis complètent les renseignements.

    « Mais en dehors de ces papiers, il n'y a rien à en tirer, mon commandant.

    — II n'a pas été interrogé trop brutalement ?

    — Ah ! non. Ça, je vous le garantis, proteste l'inspecteur. La preuve, c'est qu'on n'en sait pas plus.

    — Amenez-moi à sa cellule. »

    Mostefa Ben Boulaïd est gardé dans une des chambres de la villa réquisitionnée par la D.S.T. Face à face, les deux hommes se regardent. Même corpulence, peut-être Ben Boulaïd paraît-il un peu plus « costaud ». Il porte un costume croisé, un peu fripé, une chemise claire sans cravate, une chéchia bordeaux. L'inspecteur de la D.S.T. s'est retiré. Les deux hommes sont seuls. Le contact est difficile. Monteil se présente : « Je ne suis pas un policier... », et le dialogue s'instaure. Ben Boulaïd raconte sa vie. Il a trente-quatre ans, est meunier et propriétaire foncier. Il s'exprime bien en français. Il a été mobilisé en 1939, réformé en 1942, puis remobilisé après la libération de l'Afrique du Nord, de 1943 à 1944 à Khenchela. Il est président des commerçants des tissus de l'Aurès. Puis exploite un car sur la ligne Arris-Batna, l'une des trois voies de communication de ce massif du bout du monde qu'est Aurès. C'est un bourgeois aisé, mais sa condition privilégiée ne lui suffit pas. Il rejoint le P.P.A. clandestin de Messali dès 1947. Pour « faire quelque chose ». L'inégalité musulman-Européen qu'il a pu constater dans l'armée n'est rien à côté de celle qu'il retrouve dans la vie civile. Il décide de se lancer dans la politique. Aux élections de 1948, il est élu sur la liste M.T.L.D. Un triomphe ! 10 000 voix ! L'homme a une trop grande influence. L'administration annule son élection et le remplace par le candidat qu'elle a choisi, Cadi Abdelkader, qui va se signaler à Batna par une docilité merveilleuse compensée par l'octroi d'avantages inappréciables : faculté de nommer les petits fonctionnaires musulmans, d'obtenir décorations et récompenses. Sources de bénéfices qui ne sont pas négligeables pour un spécialiste en pots-de-vin! Ben Boulaïd est ulcéré. D'autant que, pour le punir d'avoir été candidat M.T.L.D., l'administration lui fait tous les ennuis possibles : procès-verbaux, amendes qui vont jusqu'à la suppression, en 1951, de la carte violette qui lui permet d'exploiter son car. Cadi Abdelkader la convoite pour un de ses parents. Et on ne peut rien refuser à un « député » si docile, si compréhensif des intérêts français! Ben Boulaïd dépose un pourvoi en Conseil d'État! Mais c'est Cadi qui dispose de la carte.

    « C'est à ces hommes qui ne pensent qu'à exploiter leurs frères que l'administration de votre pays fait confiance », dit Ben Boulaïd.

    Monteil, qui connaît bien ces problèmes, qui les a vécus au Maroc, comprend l'amertume de Ben Boulaïd. La conversation se poursuit en arabe, mais le prisonnier ne se décontracte vraiment que lorsque Monteil emploie le chaouï, le dialecte de l'Aurès qu'il a appris lorsqu'il « était aux tirailleurs ». Alors, Mostefa se « déboutonne».

    « Toutes ces injustices qui me frappaient, avec mes frères, dit Ben Boulaïd, m'ont poussé vers le nationalisme. Je l'ai d'ailleurs expliqué au commissaire de la D.S.T. qui m'a interrogé : l'administration pourrie joue un rôle extraordinaire dans le mouvement de révolte auquel vous assistez maintenant. Vous ne pouvez savoir quel espoir a suscité chez nous le statut de 1947. Enfin, la France s'occupait de nous. Enfin, elle nous considérait comme ses fils, comme pendant la guerre! Mais c'était une illusion. Les administrateurs, les officiers de l'Aurès sont soit indifférents, soit franchement malhonnêtes. Quant aux dix-huit caïds de l'Aurès, ils ne sont même pas de chez nous et ne pensent qu'à l'argent. Ce sont de simples agents électoraux qui exploitent ignoblement l'ignorance des Chaouïas.

    — Tout cela, je ne l'ignore pas, Ben Boulaïd. Mais vous avez pris les armes contre la France.

    — Ça oui, mon commandant. Mais il faut s'entendre. Je suis assez aisé, je ne meurs pas de faim comme la plupart de mes frères, j'ai une femme et sept enfants. L'aîné a neuf ans. Ils sont tous à Arris. Et dans ces conditions, ce n'est pas de gaieté de cœur que je me suis lancé dans le combat. Mais c'est la seule issue possible. Jamais vous ne vous seriez occupés de nous si nous étions restés "tranquilles". »

    Et Ben Boulaïd raconte à Monteil l'extraordinaire aventure du soulèvement de l’Aurès. Le conseiller de Soustelle apprend que l'Aurès est divisé en cinq secteurs, que Ben Boulaïd est en contact avec les hommes du M.T.L.D. au Caire : Ben Bella, Khider et Ait Ahmed. Il se vante un peu quant à l'organisation et aux moyens. Les papiers saisis lors de son arrestation prouvent qu'au 12 février 1955 il y a, dans l'Aurès, 359 hommes armés, dont 349 combattants et 10 gardes du corps du groupe de commandement. Pas un de plus.

    « Mais ce n'est pas fini, s'enflamme Ben Boulaïd. Bien sûr, nous n'étions pas nombreux au début, mais votre armée, avec sa façon d'agir, est notre meilleur agent recruteur. Les ratissages, les interrogatoires, les tortures nous amènent tous les jours de nouveaux combattants qui, au premier jour, n'étaient pas décidés. Les goumiers, les tirailleurs marocains pillent, violent, détruisent les provisions. Que feriez-vous à la place de ces hommes? Ils ne pensent qu'à se venger et nous rejoignent.

    — C'est tout de même vous, avant le 1 novembre, qui...

    — C'est sûr. Avant le 1er novembre, c'était le désordre dans les esprits. Alors on pouvait nous exploiter, nous considérer moins que des chiens sauvages de l'Aurès. Il faut passer par cette phase de violence. Je ne regrette rien. Si c'était à refaire, je recommencerais. »

    Ben Boulaïd est extraordinairement animé. Le petit homme calme, le prisonnier un peu abattu est «possédé». II veut convaincre son interlocuteur. II sait que le commandant est un personnage important. Il y a peut-être une chance. Le 1er novembre peut n'être qu'un signal d'alarme. Mais Ben Boulaïd, dans son exaltation, ne perd ni son sang-froid ni sa prudence. Habilement, Monteil cherche à connaître le rang du prisonnier dans l'état-major de la rébellion.

    « Je suis très connu dans l'Aurès, répond Ben Boulaïd, c'est pourquoi on m'a suivi. Mais le patron, le chef, c'est Si Messaoud. Un jeune. Il a vingt-huit ans. Il est "pratique". Il raisonne. Nous nous consultons souvent.

    — Tu es au-dessus de lui ?

    — Oh ! non. Mais s'il n'était pas là, les autres m'écouteraient. » Monteil, qui a une grande expérience du monde musulman, sent qu'il a devant lui un responsable. Mais il ne peut se douter que Ben Boulaïd est un de ces Fils de la Toussaint, l'un de ces six hommes qui ont tout monté, tout déclenché le 1er novembre. D'abord parce que personne en février 1955 ne sait exactement comment a été organisé le coup d'envoi de la révolution algérienne. Et puis peu lui importe. Il a devant lui un personnage marquant, un homme cultivé, qui pense, qui réfléchit, qui agit aussi. Les papiers le prouvent, bien que Ben Boulaïd ait nié être un combattant. « Un organisateur, dit-il, c'est tout ce que je suis... » Il a protégé Chihani Bachir, qui n'est que son second, derrière le pseudonyme de Si Messaoud. Il se passera des mois avant que les Services spéciaux français mettent un état civil sur ces pseudonymes qui garantissent la sécurité des clandestins. « Mais les autres pensent-ils comme toi ?

    — Les autres ?

    — Oui, ceux d'Alger, de Kabylie, du Constantinois... 

    — Je ne sais rien de ceux-là. Je suis coupé de toute liaison. J'avais un seul poste émetteur qui est tombé en panne. Alors j'ai tenté une liaison avec Tripoli et Le Caire pour obtenir des informations et des directives.

    — Pourquoi pas Alger ? essaie Monteil.

    — Alger ! A Alger, je ne connais personne. J'ai déjà eu bien du mal à passer la frontière tunisienne et puis je me suis fait prendre... »

    La conversation se poursuit entre les deux hommes. Ben Boulaïd ne donne aucun renseignement pratique qui pourrait faciliter une enquête policière ; en revanche, sur les raisons sociales et politiques qui ont amené les membres du C.R.U.A. à l'action armée, il est intarissable. De même, il dément une aide de l'extérieur : « Chez nous il n'y a que des Aurèsiens. De purs Chaouïs. Ni Tunisiens ni Tripolitains... »

    Monteil trouve l'homme sympathique, courageux, prudent non pour lui mais pour les siens. Il vient avec Soustelle en Algérie pour « arranger les choses », il faut savoir pourquoi se battent les rebelles.

    « Mon but, explique Ben Boulaïd, serait une Constituante algérienne. Mais ça ne se fera pas tout seul. Dans un premier temps, il y a trois mesures urgentes : d'abord, retirer les troupes de l'Aurès. Surtout les goumiers marocains en raison des viols et des crimes. Ensuite, que la France amnistie les condamnés politiques. En particulier les 2 000 détenus de la Toussaint. Enfin, l'application du statut de 1947.

    — C'est notre but.

    — Je vous crois. Mais il faut une date. Surtout pour la suppression des communes mixtes où nous n'avons aucune représentation. »

    Décidément, pense Monteil, nos points de vue ne sont pas très éloignés. Les deux hommes se séparent. Monteil va sortir quand Ben Boulaïd le retient par la manche :

    « Je ne demande rien pour moi-même, mon commandant, je suis même prêt à signer un papier reconnaissant que j'accepte d'être fusillé si ma mort doit sauver l'Algérie. »

    Monteil ne répond pas. Il a un petit sourire triste sur les lèvres. Ben Boulaïd le regarde avec confiance. Avec intensité. La porte se referme. Le policier tire les verrous. Monteil ne reverra jamais Ben Boulaïd.


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  • <<Hors-Serie: Les dessous d'une affaire d'état "L'affiare Si Saleh" 2/3

    Si SalehLe 2 juin, tout était réglé. Des émissaires de la wilaya 4 étaient attendus à Paris « par une haute personnalité » qui récapitulerait avec eux les différents points de l'accord de cessez-le-feu et s'engagerait au nom du gouvernement français.

    « Si vous donnez suite à cette proposition, dit le colonel Mathon, faites-nous connaître deux jours à l'avance la date que vous aurez fixée. »

    C'était le maximum de ce que pouvaient faire les représentants français. Ils ne voulaient pas non plus donner à leurs vis-à-vis l'impression de trop « pousser à la roue ». Après tout, c'étaient les wilayas qui étaient en position de faiblesse. Mais qu'est la force, qu'est la faiblesse dans une guerre subversive où tous les rapports, toutes les valeurs sont bouleversées ? Lakhdar, Halim et Abdelatif avaient l'air très satisfaits :

    « Nous vous préviendrons bientôt », assura le chef politique en prenant congé de ses hôtes.

    Le soir du 2 juin, en faisant son rapport au stylo à bille — en appuyant bien fort pour que les cinq carbones impressionnent les caractères—, le colonel Mathon dégagea l'intérêt de l'opération, Intérêt mutuel où il n'y avait ni gagnants ni perdants mais sûrement îles chances de paix. Pourtant il ne put s'empêcher de noter que pour certains officiers français, dont il ne citait pas les noms, ces contacts s'assimilaient à un véritable ralliement. Dans leur esprit, c'était la victoire militaire totale et écrasante. Le colonel Mathon, se souvenant des cuisantes expériences de « ralliement forcé » — comme celui d'Azzedine qui s'était terminé dans la déroute la plus complète -souligna le danger d'une pareille interprétation- qui, une fois de plus, pouvait provoquer d'amères « déceptions ».

    Savourant le calme qui l'enveloppait, Bernard Tricot «l'homme de l'Elysée» faisait le point. Si la journée avait été fertile en surprises et en rebondissements, le lendemain pouvait être essentiel dans le déroulement de l'affaire et influer sur la durée de la guerre. La paix tenait peut-être entre les mains des cinq hommes, car cette fois, ils étaient en France, ces fellaghas dont on parlait tant depuis des années!

    Quarante-huit heures auparavant — le 7 juin — le cadi avait transmis le message de la wilaya 4. Les émissaires du F.L.N. étaient près à se rendre à Paris. Tricot et Mathon avaient fixé le rendez-vous au 9 juin à 15 h 30 à Médéa. Ils « jouaient » un horaire très précis. En partant en hélicoptère de Médéa vers 16 heures et compte tenu du transbordement dans le S.O. Bretagne qui attendrait à Maison Blanche, ils arriveraient à Villacoublay à la nuit, protégés «1er regards indiscrets. Le colonel Jacquin, patron du B.E.L., avait « récupéré » les responsables de la wilaya à la limite du bled et des faubourgs et les avait conduits en camionnette bâchée à la D.Z. de Médéa. A 15 h 30 ils entraient dans le bureau où les attendaient Hrinard Tricot et le colonel Mathon. Lakhdar était le premier mais deux inconnus l'accompagnaient.

    « Messieurs, dit Lakhdar, je vous présente Si Salah, notre chef, et Si Mohamed, chef militaire de la wilaya. »

    Avec Si Lakhdar, c'était tout l'état-major de la wilaya 4 qui se déplaçait, prouvant ainsi l'importance que ces hommes attachaient à la tentative de cessez-le-feu ! L'affaire suivait une progression logique. Dans un premier temps ils avaient voulu traiter avec des représentants directs du pouvoir parisien, ensuite ils avaient demandé à être reçus par une personnalité importante du gouvernement, et aujourd'hui ils « mettaient le paquet » en se présentant tous trois — le chef suprême, son adjoint politique et son adjoint militaire — à l'heure du départ pour Paris.

    Si Lakhdar expliqua que Halim resterait à la wilaya pour s'occuper des affaires courantes. Quant à Abdelatif, il ne parlait pas suffisamment français pour participer à une « conférence au sommet ». Très habilement, le chef politique, profitant de sa connaissance des deux émissaires français, cherchait à mettre à l'aise les deux nouveaux venus. Pour Si Salah, cela semblait facile. L'homme, très grand -environ 1,90 m- paraissait très sympathique et parlait facilement. Le visage clair était agréable. Des yeux bruns, intelligents, dirigeaient alternativement leurs regards sur les délégués français comme pour mieux les connaître et les jauger. L'aisance des gestes, la taille élancée rendaient plus rustaude encore l'allure de son voisin Si Mohamed. C'était donc là l'homme avec lequel, ou plutôt « contre lequel », il faudrait jouer. Le chef militaire de la wilaya 4, Si Mohamed avait à peine salué et se tenait dans une réserve hostile qui n'augurait rien de bon. Pourtant dans le S.O. Bretagne qui les menait à Paris le chef militaire s'était détendu, parlant un peu de sa vie.

    « C'est notre baptême de l'air », avait confié Lakhdar.

    Et, avec une nuance d'admiration dans la voix, il avait ajouté :

    « Mais Si Salah, lui, est déjà monté en avion. »

    Le repas lui-même avait été une source d'étonnement pour ces soldats des maquis. Les gendarmes de l'air en civil — ils étaient quatre, deux à l'arrière, deux à l'avant de la carlingue — les avaient vu déchirer à belles dents les tranches de viande froide qu'on leur présentait. A l'heure du fromage, Lakhdar, qui ne connaissait pas le camembert, l'avait mangé tout entier, croyant que c'était l'usage. Et sans une goutte de vin ! Les trois hommes respectaient strictement l'orthodoxie musulmane, ils ne fumaient ni ne buvaient d'alcool. Au fil des heures Tricot et Mathon n'avaient pu s'empêcher d'une certaine sympathie pour ces hommes qui les avaient durement combattus et qui, l'heure de la négociation arrivée, se trouvaient littéralement arrachés à leur pays, à leurs habitudes simples et rudes de coureurs de djebel, pour se trouver plongés dans un monde inconnu, au contact de coutumes et d'habitudes nouvelles. Il leur fallait un réel courage pour entreprendre seuls une pareille aventure, en opposition avec leurs chefs de l'extérieur et sans même le soutien des wilayas voisines.

    Après le repas, dans l'avion, les cinq hommes avaient abordé les thèmes politiques. Si Salah avait exprimé un nouveau désir : il voulait s'entretenir avec Ben Bella.

    « Il est en prison chez vous, expliqua-t-il, ce sera très facile de le rencontrer. »

    Les trois chefs de la wilaya 4 voulaient bien passer au-dessus de ce G.P.R.A. qui à leurs yeux ne représentait plus rien mais ils désiraient tout de même rencontrer le leader emprisonné, qui déjà faisait figure de martyr. Ben Bella au courant, ils ne pourraient être accusés de traîtrise! Le plan était habile mais Bernard Tricot savait que de Gaulle refuserait cette éventuelle visite au prisonnier de l'île d'Aix. Il entreprit de les décourager.

    « Voir Ben Bella ne me semble pas une bonne idée, expliqua-t-il. Vous avez le souci de ne pas jouer en solitaires. Vous ne voulez pas apparaître comme des traîtres mais comme des chefs conscients de la qualité de ce que vous entreprenez. Si vous rencontrez Ben Bella, il préviendra le G.P.R.A. Et là vous apparaîtrez comme des traîtres car il sera facile aux membres du gouvernement provisoire d'expliquer ainsi votre tentative de discussion séparée. »

    Les trois hommes parurent convaincus. Convaincus mais désemparés.

    « Si vous avez des doutes sur l'importance que le gouvernement français attache à cette affaire, poursuivit Tricot, ils seront balayés quand vous verrez la qualité de celui qui discutera avec vous au nom du gouvernement français.»

    Jusque-là les hommes de la wilaya 4 n'avaient prononcé aucun nom. Ils avaient simplement manifesté le désir de rencontrer une « haute personnalité ». De leur côté, ni Mathon ni Tricot ne pouvaient leur dire qui les recevrait. Rien à Paris n'était décidé et la qualité –imprévue- des émissaires du F.L.N. autorisait tous les espoirs. Celui de Tricot — peut-être le seul homme dont le général de Gaulle entendît les suggestions sur le problème algérien — était de les faire recevoir par le président de la République lui-même. L'impact serait si fort qu'il pourrait accélérer la bonne marche d'un plan de cessez-le-feu subtil mais non exempt de risques et de dangers. Il s'agissait de «gonfler» des hommes, certes importants, mais qui pour l'heure ne représentaient que les deux cent cinquante ou trois cents fells armés qui tenaient encore le maquis algérois.

    « De toute façon, conclut Tricot, je poserai la question à propos de Ben Bella. »

    Au cours du voyage un courant de confiance s'était établi entre les envoyés de l'Elysée et de Matignon et les deux nouveaux venus dans la négociation. Les précautions prises pour conserver leur anonymat, l'absence de mesures de sécurité exprimant une quelconque défiance à leur égard, les avaient bien disposés. A l'arrivée à Villacoublay seules trois voitures attendaient garées en bout de terrain, tous feux éteints. Le sous-préfet de Rambouillet, ignorant l'identité des Algériens, avait été prié de venir avec sa voiture personnelle et sans chauffeur. En outre il avait reçu l'ordre d'assurer l'hébergement de cinq personnes, pendant une ou deux nuits dans une résidence située de telle façon que leur présence restât secrètes. Il s'était acquitté de sa mission et avait servi de chauffeur à Bernard Tricot et Si Salah. Le général Nicot, chef du cabinet militaire de Michel Debré, était aussi au rendez-vous et avait conduit Si Mohamed tandis que le colonel Mathon s'était glissé derrière le volant de la troisième voiture avec, à ses côtés, Si Lakhdar. Les trois véhicules avaient pris la route du château sert de résidence aux présidents de la République, et étaient arrivés sans encombre au pavillon de chasse isolé au cœur de la forêt. Seuls le garde-chasse et sa femme les avaient accueillis et s'étaient retirés après avoir préparé le repas.

    Les trois chefs F.L.N., séduits par la confiance que leur faisaient leurs interlocuteurs français, leur avaient même demandé de ne jamais être séparés d'eux. Que toujours, pendant le temps que durerait leur séjour en France, le colonel Mathon ou M. Tricot restât avec eux. Même la nuit. Pour répondre à leurs désirs on avait installé trois lits dans une chambre réservée aux hommes du F.L.N. et deux dans une autre pièce dont on avait laissé la porte de séparation grande ouverte. Bernard Tricot pouvait ainsi entendre un souffle fort et régulier provenant de la pièce voisine.

    Le 10 juin 1960 Bernard Tricot se rendit à l'Elysée. A 11 h 30 il était de retour pour permettre au colonel Mathon de gagner Matignon. Chacun devait faire son rapport à son patron. Ce n'est que lorsque les deux hommes retrouvèrent leurs trois compagnons pour un déjeuner tardif qu'ils leur annoncèrent la nouvelle.

    «Vous serez reçus ce soir à 22 heures par le général de Gaulle.»

    La promesse de Tricot était tenue au-delà de leurs espérances. Le premier moment de surprise passé, après qu'ils eurent marqué leur satisfaction — plus modérée chez Si Mohamed que chez ses deux compagnons —, les chefs de la wilaya 4 demandèrent à leurs interlocuteurs français de les aider à résumer dans un « topo » d'ensemble les points sur lesquels ils s'étaient mis d'accord lors des quatre réunions de Médéa. L'après-midi se déroula dans une atmosphère de « bachotage » assez touchante. Guidés par Tricot ils travaillèrent à la préparation de l'entrevue. Son déroulement les préoccupait. Les trois chefs F.L.N. ne montraient pas tant une réelle inquiétude qu'une certaine recherche de bienséance à l'égard du général de Gaulle.

    - qui assistera à cette entrevue ? S’enquit Lakhdar.

    - Personne en dehors du colonel Mathon et de moi-même. »

    A 21 heures, ce 10 juin 1960, trois voitures sortirent de la forêt de Rambouillet. Le général Nicot conduisait la première, Tricot la seconde, Mathon la troisième. La traversée des Champs-Elysées, la vision de l'Arc de Triomphe éblouissant sous les projecteurs, les mille lumières des boutiques et des voitures qui se pressaient les unes auprès des autres, la succession des feux rouges et verts, furent autant d'émerveillements pour ces hommes simples qui découvraient Paris. Un Paris lumineux, gai, riche, insouciant. Une foule joyeuse, avide de son plaisir. Bien loin de la guerre et de ses préoccupations. Un monde nouveau. Insoupçonné. Insoupçonnable pour ces combattants dont l'horizon se limitait depuis cinq ans aux âpres djebels, aux mechtas misérables, aux caches obscures et qui n'avaient connu jadis que la vie biblique de leur douar natal ou les faubourgs misérables où se terrent, la nuit venue, la foule des travailleurs nord'af.

    A 21 h 50 les trois voitures pénétrèrent dans l'Elysée.

    Sur les visages les sourires et l'émerveillement avaient fait place à une gravité tranquille chez Si Salah et Si Lakhdar, sombre chez Si Mohamed. Les six hommes traversèrent une succession de couloirs, de salons, de bureaux déserts. Ils ne croisèrent âme qui vive.

    Bernard Tricot, familier des lieux, avait soigneusement repéré son itinéraire et donné ses ordres. Personne ne devait rencontrer les mystérieux visiteurs. Quelques minutes avant 22 heures ils se retrouvèrent dans le vaste bureau des aides de camp où seul les attendait le colonel de Bonneval. Un Bonneval plus anxieux, plus tracassé que jamais. Torturé par l'idée d'un possible attentat. Après tout, ces hommes pouvaient avoir monté un plan machiavélique à l'issue duquel ils abattraient la « haute personnalité » qu'ils devaient rencontrer. Tricot et Mathon n'avaient pas négligé cette hypothèse, surtout depuis qu'ils avaient rencontré Si Mohamed. Mais il fallait jouer le jeu. L'opération psychologique qui allait se dérouler entre le général de Gaulle et les trois chefs F.L.N. ne pouvait réussir que si l'on établissait un climat de confiance réciproque et complète. Qu'on les fouille pour s'assurer qu'ils ne portaient pas d'armes et tout était fichu ! En accord avec le Général, Tricot avait pris le risque. Aucune mesure de sécurité apparente ! Toutefois on avait à l'avance fixé les places. Le général de Gaulle derrière son bureau, Tricot à sa droite sur le côté du bureau, Mathon à sa gauche. L'un et l'autre tournés de trois quarts vers les chefs rebelles qui se trouveraient en ligne, face au président de la République. A leur hauteur derrière une tenture dissimulant les hautes croisées du bureau, la mitraillette armée à la main, l'un des « gorilles » du Général, Henri Djouder, se tiendrait prêt à tirer. Il pourrait à travers la fente des lourds doubles rideaux suivre les faits et gestes des visiteurs. En outre, sans pouvoir l'affirmer, il est pratiquement sûr que Tricot et Mathon portaient chacun un pistolet.

    A 22 heures précises les cinq hommes pénétrèrent à pas lents dans le bureau du président de la République. Le général Nicot demeura avec le colonel de Bonneval dans le bureau des aides de camp.

    Le général de Gaulle se tenait derrière son bureau. L'instant était solennel. D'un geste large il désigna à ses hôtes les trois fauteuils. Si Salah prit place au centre, Lakhdar à sa droite, Si Mohamed à sa gauche.

    « Messieurs, dit le général de Gaulle, asseyez-vous je vous prie. »

    Les trois chefs de la wilaya, raidis, tendus, saluèrent militairement puis s'assirent. Le général de Gaulle, tout comme le colonel Mathon, était en civil. Il sortit ses lunettes de la poche poitrine, puis se mit à jouer avec.

    « Messieurs, dit-il, je voudrais avant que nous commencions cette discussion situer à nouveau ma position qui est celle de la France. »

    En un monologue d'une dizaine de minutes il résuma les termes de l'accord établi à Médéa. Il promettait aux djounouds qui déposeraient leurs armes dans des endroits fixés en accord avec eux la reconnaissance de leur statut de combattant, la possibilité de regagner sans encombre leurs villages ou de s'engager dans l'armée française, ou encore d'entrer dans des centres de promotion en attendant le référendum d'autodétermination. Le Général insista sur la dignité qui devait être reconnue par tous aux hommes du djebel.

    « L'Algérie, ajouta-t-il, doit se bâtir avec le concours de tous. »

    C'était au tour des Algériens de parler. Si Salah et Si Lakhdar, parfois Si Mohamed, exposèrent leurs points de vue. Ils étaient prêts à cesser des combats. Ils acceptaient l'autodétermination ainsi que les conditions fixées:

    Si Salah insista particulièrement sur le souci qu'ils avaient de ne pas traiter pour leur compte personnel, de ne pas se désolidariser de leurs frères.

    « Il faut que le plus grand nombre possible de wilayas cessent le combat en même temps que nous, précisa-t-il.

    - Oui, intervint Lakhdar, et pour cela il nous faut pouvoir convaincre leurs chefs. Il faut qu'un cessez-le-feu partiel nous permette de nous déplacer. »

    De Gaulle, très attentif, les rassura sur ce point.

    «Vous aurez ce cessez-le-feu durant tous vos déplacements, que nous faciliterons au mieux.»

    On en arriva au G.P.R.A. Le Général annonça qu'il allait à nouveau faire appel dans une allocution radiotélévisée à l'organisation extérieure et intérieure.

    « Dans quelques jours je vais proposer une fois encore le cessez-le-feu. »

    Les trois hommes n'exprimèrent aucune surprise.

    « De notre côté, réaffirma Si Salah, nous mènerons nos contacts avec les wilayas voisines. Si le G.P.R.A. répond à vos offres de paix vous n'entendrez plus parler de nous. S'il les rejette nous poursuivrons nos entretiens — avec cette fois les représentants des wilayas qui partagent notre point de vue. Ensemble nous essayerons de mettre sur pied un cessez-le-feu séparé à partir des conditions que nous venons d'établir. »

    L'entretien était terminé. Le Général se leva, imité par ses visiteurs.

    « Messieurs, leur dit-il, je ne sais si nous nous reverrons. Je l'espère. J'espère aussi que je pourrai alors vous serrer la main. Vous comprendrez que je ne puisse le faire aujourd'hui car nous restons, pour l'instant, des adversaires. Mais si je ne vous serre pas la main, messieurs, je vous salue. »

    Les trois chefs F.L.N. paraissaient très émus. Ils saluèrent à nouveau militairement et, flanqués de leurs « anges gardiens » Tricot et Mathon, ils gagnèrent la porte du bureau.

    Immobile, debout derrière sa table de travail, de Gaulle les regarda sortir.

    La rencontre la plus secrète de la guerre d'Algérie venait de se terminer.

    Pour la première et la dernière fois le Général avait parlé face à face avec ces ennemis insaisissables dont la révolte avait provoqué la crise la plus grave qui ait ébranlé la France depuis quinze ans.

    Pour la première fois aussi, depuis le 1er novembre 1954, une solution était en vue. La paix se profilait à l'horizon des mechtas.

    Le 14 juin, à 20 heures, le général de Gaulle, dans la deuxième partie de son discours radiotélévisé consacré aux questions sociales et économiques et à la Communauté, renouvela ses offres de paix à l'organisation rebelle. En apparence il ne disait rien de plus qu'au 16 septembre : collège unique, cessez-le-feu par la « paix des braves », autodétermination, libre référendum par lequel les Algériens choisiraient leur destin.

    « Il est garanti.que le choix sera entièrement libre », dit le président de la République.

    Et chacun put remarquer qu'il insistait sur chacun de ses mots, martelant et détachant chaque phrase, les ponctuant du poing sur la table.

    «Les informateurs du monde entier, poursuivit-il, auront pour le constater, pleine et entière latitude.»

    Pas un mot de la rencontre secrète de l'Elysée. Pas un mot et pourtant celui qui savait le détail de son entrevue avec les trois chefs de la wilaya 4 pouvait retrouver les thèmes, les termes mêmes de la discutions, dans l’appel adressé par le président de la République au G.P.R.A. :

    « Une fois de plus, je me tourne, au nom de la France, vers les dirigeants de l'insurrection. Je leur déclare que nous les attendons ici pour trouver avec eux une fin honorable aux combats qui se traînent encore, régler la destination des armes, assurer le sort des combattants. Après quoi, tout sera fait pour que le peuple algérien ait la parole dans l'apaisement. La décision ne sera que la sienne. Mais je suis sûr, quant à moi, qu'il prendra celle du bon sens : accomplir, en union avec la France et dans la coopération des communautés, la transformation de l'Algérie algérienne en un pays moderne et fraternel. »

    Cet appel au G.P.R.A. scandalisa les militaires d'Alger qui étaient dans la confidence. Pour eux, de Gaulle torpillait froidement l'affaire. II sabotait une paix séparée possible avec Si Salah et les wilayas, une paix au sein de laquelle, à leur idée, l'Algérie resterait française, pour traiter avec le G.P.R.A. dont le but avoué était l'indépendance de l'Algérie. Leur thèse, et ce sera celle de Challe — alors à Fontainebleau —, celle de Nicot — alors chef du cabinet militaire de Debré —, celle des hommes du B.E.L. dans le secret, était que Si Salah et ses compagnons n'avaient accepté de traiter qu'à condition que de Gaulle s'engageât à ne pas discuter avec le G.P.R.A. dont ils ne voulaient plus entendre parler. C'était la scission complète avec l'extérieur. Dans cette optique, Si Salah se ralliait purement et simplement. Et tous les espoirs étaient permis, « si ce Machiavel de l'Elysée ne livrait l'Algérie pieds et poings liés aux tueurs de Tunis » !

    Cette attitude, cette équivoque sur les termes échangés entre le Général et les chefs de la wilaya 4, est le point de départ de ce qu'on appellera moins d'un an plus tard la « révolte des généraux ». Pour eux, dès la rencontre avec Si Salah, le 10 juin 1960, de Gaulle trahit. D'autant que l'affaire de la wilaya 4 va se terminer dans le drame et la confusion.

    Après la rencontre avec de Gaulle, Si Salah, Si Lakhdar et Si Mohamed, toujours bien entourer par le tandem Tricot-Mathon, regagnèrent le pavillon. Ils semblaient très satisfaits, en croie même à une certaine émotion d'avoir vu le Général, y compris Si Mohamed, pourtant moins prolixe que ses compagnons.

    « Pour nous, confia-t-il à Bernard Tricot, cette entrevue est très importante. C'est une garantie que d'avoir entendu le général de Gaulle.»

    Dans la bouche de cet homme dur et farouche la réflexion prenait une singulière résonance...

    Il s'agissait maintenant pour les trois émissaires F.L.N. de « convaincre » les wilayas voisines. Le 11 juin ils étaient de retour à Médéa. Tricot, Mathon et le colonel Jacquin, patron du B.E.L., convinrent d'un rendez-vous pour le 18. Il fallait bien une semaine pour donner les ordres nécessaires à un cessez-le-feu partiel qui permettrait aux chefs de la wilaya 4 de se déplacer sans encombre dans les wilayas voisines. Pour le commandant en chef, le général Crépin, qui avait succédé à Challe au cours de l'affaire Si Salah, il n'était pas question de donner aux généraux commandants de région et aux colonels commandants de secteur en Kabylie et dans l'Algérois les raisons d'un cessez-le-feu partiel et temporaire. Le B.E.L. fut donc chargé de le faire appliquer sans explication. Le capitaine Heux pour l'Algérois et le capitaine Léger pour la Kabylie furent désignés pour suivre les émissaires F.L.N. « à la trace » et pour les protéger durant leur mission. L'opération Si Salah reçut comme nom de code « Tilsitt » et Léger, Heux et Jacquin eurent seuls le droit d'en consulter le dossier, bien mince puisqu'il ne contenait aucun des comptes rendus manuscrits du colonel Mathon.

    A suivre la suite de cette affaire en deux partie sous le titre "Nom de code: Tilsitt"


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    Si SalehMais ce 31 mars 1960, c'était encore l'Espoir. à 23 heures les représentants de la wilaya 4 acceptèrent toutes les conditions présentées avec beaucoup de souplesse et de doigté par le colonel Mathon et Bernard Tricot. C'est le général Challe qui — en rapport étroit avec les représentants de l'Elysée et de Matignon ainsi avait établi les modalités d'une « reddition qui n'en ait pas les apparences mais tous les effets », comme dira plus tard Paul Delouvrier. Qu'on en juge : il était entendu que tous les combattants de la wilaya déposeraient leurs armes dans des endroits fixés par accord mutuel — de préférence les préfectures pour que les djounouds n'aient pas le sentiment de i remettre leurs armes à des militaires. Ainsi l'honneur serait sauf. En échange de quoi, la France reconnaîtrait à ces « fellaghas » le titre de combattants réguliers. Dès lors chaque djoundi pourrait soit regagner son village soit s'engager dans l'armée française au sein des harkis ou dans une formation de promotion sociale. Les cadres F.L.N. seraient envoyés à l'école d'officiers et de sous-officiers de Cherchell ou bien rejoindraient eux aussi leur famille. Le gouvernement français s'engageait à n'exercer aucune poursuite contre ces anciens rebelles à condition qu'ils « n'aient pas de sang sur les mains ». Les « tueurs » et les terroristes seraient jugés. Mais les négociateurs de Médéa convinrent que ces cas particuliers seraient réglés «entre eux». Une peut comme une loi d'amnistie interviendrait très rapidement après l'autodétermination, Mathon et Tricot pourraient «fermer les yeux» et aider à l'exil temporaire des «tueurs» vers l'étranger.

    Ayant accepté toutes les conditions matérielles du cessez-le-feu Si Lakhdar entreprit de clarifier la situation politique. Les « négociateurs » de la wilaya 4 prônaient la constitution d'une sorte de parti politique dont ils seraient les leaders et qui s'insérerait dans une « cohabitation » avec la France. En fait ils réclamaient une autonomie interne dans laquelle ils auraient une place privilégiée.

    « Mais tout cela ne sera valable, précisa Lakhdar, que si nous avons l'accord des autres régions. Le pouvoir des wilayas est beaucoup plus fort, beaucoup plus important que celui que peut détenir l'organisation extérieure, peu consciente des réalités intérieures. Nous devons désormais agir en deux temps. Dans un premier temps, nous allons mettre au courant de notre accord tous nos chefs de zone, puis, après leur acceptation, nous entreprendrons d'amener à nos vues les wilayas voisines.

    - Et Tunis ? interrogèrent les « Français ».

    - Nous nous expliquerons également avec Tunis. Mais plus tard. Que pourront faire les membres de l'extérieur si toutes les wilayas — c'est-à-dire les combattants et par suite tout le peuple qui nous soutient — décident de négocier avec la France ? Rien. Si ce n'est suivre. Et traiter. Ils s'apercevront enfin de la véritable situation qui règne à l'intérieur et sentiront l'opportunité, si ce n'est la nécessité, d'adopter nos plans. »

    Décidément la négociation semblait favorable. Tricot et Mathon ne pouvaient qu'abonder dans le sens de leurs adversaires d'hier, bientôt des alliés. Il fallait mettre à exécution le plus vite possible la première partie de ce plan. Avertir les chefs de zone, ne paraissait pas être bien difficile. Pourtant Lakhdar, Halim et Abdelatif demandèrent un délai de huit semaines.

    « Tant que cela ! s'exclama le colonel Mathon.

    - Oui. Et à condition que pendant ce délai vous vous engagiez à suspendre les opérations de réserve générale sur le territoire de la wilaya 4.

    - Et les troupes de secteur ? demanda le colonel.

    - Aucune importance. On s'en arrange très bien. Ce qu'il faut éviter ce sont les opérations de parachutistes, de légionnaires ou de commando de chasse. »

    Mathon en prit l'engagement.

    « Nous verrons plus tard ce qu'il faudra faire lorsque nous contacterons les wilayas voisines, ajouta Si Lakhdar.

    - Quand nous reverrons-nous ?

    Laissez-nous environ ces deux mois. Nous vous avertirons par le canal habituel du résultat de notre mission. Le vieux cheikh vous dira quand nous serons prêts à passer au second stade de la discutions.»

    L’affaire prenait une telle importance que, pour garantir le secret, Le colonel Mathon écrivit lui-même au stylo à bille les comptes rendu de ces deux réunions et en fit six copies tirées au papier carbone pour le général de Gaulle, Michel Debré, Paul Delouvrier, le Général Challe, Bernard Tricot et lui-même. En dehors de ces six documents manuscrits il n'existe pas une note, pas un papier, pas Un compte rendu qui fasse seulement allusion à l'affaire.

    Chaque ligne de ce compte rendu était du baume au cœur de Challe, qui y voyait la justification de toute sa politique. Il interrompit pratiquement toutes les opérations qui se déroulaient dans l'Algérois. Avec la reddition de la wilaya 4 c'étaient les trois wilayas de l'Algérie qui étaient pacifiés. En effet non seulement la wilaya de Si Salah couvrait de Palestro à Ténès — c'était la plus riche d'Algérie—, mais en outre, depuis les affaires Bellounis, Si Chérif et Si Haouès, elle avait barre sur la wilaya 6 et ses arrières, quant à l'organisation F.L.N. oranaise, elle était littéralement à genoux. Aux frontières, les barrages est et ouest étaient efficaces à 95% et les rares djounouds chargés d'armes qui passaient vers le Sud étaient vite repérés grâce à une surveillance aérienne intense et aux pisteurs arabes que Challe avait décidé d'utiliser dans cette chasse à l'homme. Quelques traces de pas, quelques éraflures et ces Sherlock Holmes du désert vous disaient quand le fell était passé, s'il était chargé ou non, quelle était sa direction. Un hélicoptère et une mitrailleuse suffisaient alors à anéantir les djounouds qui avaient passé la frontière.

    La rébellion, privée de moyens de communication, de ravitaillement, d'armes, de recrutement, traquée par les opérations et les embuscades, était à bout. Les négociations de Médéa le prouvaient. Aux yeux de Challe cette affaire Si Salah était le coup de grâce pour les maquis de l'intérieur. Dès lors on comprend sa déception devant l'inflexibilité du général de Gaulle à son égard.

    Challe voulait rester non seulement pour voir sa victoire, en tirer les honneurs qui sont la récompense de la vie militaire, mais aussi, mais surtout, pour surveiller le déroulement de l'affaire Si Salah, car le commandant en chef se méfiait de l'envoyé de l'Elysée. Pour lui, Bernard Tricot était le l'homme qui ne voyait qu'un avenir pour l'Algérie : l'indépendance. Il craignait que l'éminence grise du Général ne se serve du ralliement de Si Salah pour manœuvrer le G.P.R.A. et l'amener à traiter.

    Car déjà, en ce mois de mars 1960, l'affaire Si Salah est une source d'équivoques. Pour Challe et les quelques officiers du B.E.L. qui sont dans la confidence, le cessez-le-feu partiel signifie le ralliement des hommes de Si Salah. Comment appeler autrement une manœuvre qui aboutit au dépôt des armes, au retour des rebelles dans leurs foyers ou à leur entrée dans les rangs de l'armée française ? L'affaire Si Salah réussie, c'est l'intégration tant rêvée qui devient enfin possible, le maintien définitif de cette Algérie française que l'on a juré de préserver. Ce qu'ils oublient — volontairement ou non — c'est que les cadres et les djounouds épuisés physiquement par une lutte démesurée, écœurés par le « lâchage » de Tunis, n'en restent pas moins très attachés à l'idéal de l'indépendance. Ils acceptent d'autant mieux la paix des braves qu'elle conduit au référendum d'autodétermination. Et si celui-ci se déroule librement, il proclamera le désir du peuple algérien d'être indépendant. Le délégué général Paul Delouvrier en est persuadé. Tous les rapports qu'il reçoit concordent. En Oranie, par exemple, cette Oranie où la rébellion est à genoux — comme dit Challe —, où le général Gambiez a fait un effort considérable pour éliminer la torture et les « corvées de bois », où la paix semble revenue, la population musulmane libérée du « joug du F.L.N. » n'en exprime pas moins son désir d'indépendance. La rébellion a reculé jusqu'à disparaître par endroit mais son empreinte politique reste indélébile sur la population.

    L'armée, chefs en tête, nie obstinément cette évidence. Dans le bled elle est au contact d'une population qui vit au Moyen Age et ne sait que rendre hommage au plus fort. Dans cette optique, la réussite de l'affaire Si Salah ne peut conduire qu'à une Algérie définitivement française. Mais une page est tournée. La rébellion, commencée dans les campagnes, a bouleversé la façon de penser des villes. Désormais le pouls de l'Algérie musulmane se prend dans les faubourgs des grandes villes. Et là, le désir d'indépendance manifesté par le peuple s'y fait jour avec force. L'armée ne peut ni ne veut l'admettre. Elle a vaincu son adversaire sur le terrain, donc elle a gagné. Sans rébellion on ne peut remettre l'Algérie française en question.

    Dans ce contexte, Challe, qui savait pouvoir réaliser cette décolonisation par promotion dont il s'était fait le champion, ressentait encore plus profondément l'amertume de son départ. D'autant plus profondément qu'il était désormais persuadé que de Gaulle et « la bande à Tricot » voulaient larguer l'Algérie, et torpiller les chances de réussite de l'affaire Si Salah. Quittant l'Algérie l'ancien commandant en chef se promettait bien de suivre de Fontainebleau cette affaire mystérieuse. A ses yeux elle était la dernière chance de l'Algérie française et fraternelle dont il rêvait depuis deux ans.

    Tout avait -réussi. Les cadres de la wilaya étaient d'accord. Un cessez-le-feu était désormais possible mais ne serait réellement applicable que s'il était admis et suivi par les autres wilayas. Telles étaient en bref les nouvelles qu'apportaient le 31 mai 1960 les émissaires de la wilaya 4 à leurs homologues Tricot et Mathon à nouveau réunis à la préfecture de Médéa. Cette fois, les cinq hommes, devenus de vieilles connaissances, ne perdirent pas de temps en approches subtiles ni en précautions de langage. Ils étaient cinq, la même galère. Deux mois s'étaient écoulés et il ne s'agissait de perdre de temps. Les résultats étaient positifs et le secret de leurs contacts avait été préservé. Chacun des deux partis a joué le jeu. Un miracle. Il fallait profiter du courant de confiance entre les ennemis d'hier pour faire aboutir aujourd'hui le projet de cessez-le-feu. Pourtant, après que Lakhdar eut expliqué les contacts avec les différents commandants de zone, Bernard Tricot et le colonel Million, rompus aux discussions de cabinet et aux sous-entendus, décelèrent chez leurs interlocuteurs une certaine gêne. Malgré les nouvelles optimistes la machine grippait. Mais où ? Si les commandants de zone étaient tous favorables, c'était de l'état-major que venaient d'éventuelles réticences. Il fallait en avoir le cœur net.

    Faisant preuve d'une psychologie rare de la part d'un maquisard descendu de sa montagne, Lakhdar prit les devants :

    « Nous avons deux problèmes, avoua-t-il, le premier vient d'un homme : Si Mohamed, l'adjoint de Si Salah, l'autre est un problème d'altitude générale. Nous sommes conscients de l'intérêt que représentes ces discussions à l'échelon le plus haut mais en même temps nous craignons de donner à certains, peu familiers avec les subtilités contacts secrets, l'impression de trahir, de jouer pour notre  compte et dans notre intérêt personnel.

    • Si Mohamed est opposé à nos entretiens ? interrogea Mathon.
    • Non. Pas ouvertement. Mais c'est un chef militaire très dur, difficile à convaincre. Il voit la trahison partout. Lors des crises nées récentes il a été très violent. Beaucoup de djounouds ont peur de lui. »

    Si Lakhdar semblait embarrassé. Aucun des deux émissaires français ne releva l'allusion aux terribles purges qui avaient décimé quelques mois auparavant les cadres intellectuels de la wilaya. Si Mohamed était donc des adeptes d'Amirouche. Il faudrait compter avec son intransigeance. Pour l'heure, il s'agissait de rassurer Lakhdar, lui donner bonne conscience.

    « Il n'y a pas traîtrise, plaida Tricot, lorsqu'on tente de mettre honnêtement sur pied les conditions d'un cessez-le-feu qui ne sera pas uniquement applicable à la wilaya 4 mais à tous les combattants de l'intérieur. Quels qu'ils soient. En outre, vous ne traitez pas avec l'armée mais avec le gouvernement.

    - C'est pourquoi, enchaîna Si Lakhdar, il sera indispensable qu'une fois définies les conditions d'arrêt des combats, nous amenions les autres wilayas à partager notre point de vue. »

    Le chef politique s'arrêta un instant, passa la main sur son visage, comme pour se donner les secondes d'une ultime réflexion, puis se lança :

    « Pour convaincre Si Mohamed, pour persuader les wilayas voisines nous avons besoin de traiter notre affaire à un haut niveau. C'est pourquoi nous n'avons voulu rencontrer que des représentants du pouvoir parisien. Maintenant que nous sommes sur le point d'aboutir il faudrait frapper un grand coup, d'une portée psychologique importante. Nous vous faisons personnellement confiance, vous représentez directement le général de Gaulle, mais si nous pouvions rencontrer une haute personnalité politique de Paris qui conclue avec nous les accords que nous avons étudiés cela faciliterait énormément notre travail. Vis-à-vis des autres wilayas, et aussi vis-à-vis de Si Mohamed, nous serions plus représentatifs. »

    L'idée était bonne. Tricot et Mathon l'avaient d'ailleurs évoquée à Paris et Michel Debré ne s'y était pas opposé.

    « Je crois que cela peut se faire, répondit Bernard Tricot. Laissez-nous quarante-huit heures. Après-demain vous aurez la réponse. »

    Le 2 juin, tout était réglé. Des émissaires de la wilaya 4 étaient attendus à Paris « par une haute personnalité » qui récapitulerait avec eux les différents points de l'accord de cessez-le-feu et s'engagerait au nom du gouvernement français.

    « Si vous donnez suite à cette proposition, dit le colonel Mathon, faites-nous connaître deux jours à l'avance la date que vous aurez fixée. »

    C'était le maximum de ce que pouvaient faire les représentants français. Ils ne voulaient pas non plus donner à leurs vis-à-vis l'impression de trop « pousser à la roue ». Après tout, c'étaient les wilayas qui étaient en position de faiblesse. Mais qu'est la force, qu'est la faiblesse dans une guerre subversive où tous les rapports, toutes les valeurs sont bouleversées ? Lakhdar, Halim et Abdelatif avaient l'air très satisfaits :

    « Nous vous préviendrons bientôt », assura le chef politique en prenant congé de ses hôtes.

    A suivre...

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  • Si SalehDans les premiers jours de janvier 1960 les services d'écoute radio du capitaine Heux, chargé, au B.E.L., des renseignements concernant la wilaya 4, avaient intercepté une série de messages échangés par Si Salah, chef de l'Algérois, et l'état-major d'Oujda commandé par le colonel Boumediene. Ils étaient singulièrement instructifs. Heux savait que le plan Challe avait fait la vie dure aux survivants de la wilaya, mais il ne pensait pas que le moral fût tombé aussi bas. Dans son message, Si Salah exprimait en termes d'une rare violence le désarroi, le désespoir et la fureur de ses hommes. Le recrutement local était devenu impossible et ni les armes, ni les munitions, ni les renforts promis par l'extérieur n'arrivaient jusqu'au cœur de l'Algérie. En fait, Si Salah « engueulait » littéralement son chef d'état-major.

    « Vous ne foutez rien, disait-il. Vous vous prélassez à l'extérieur. Mais méfiez-vous. Les maquis sont las et écœurés. De Gaulle propose la paix des braves, l'égalité complète pour tous. Nous, c'est ce que nous demandons. L'égalité, c'est le but auquel depuis toujours nous aspirons. Si vous ne nous fournissez pas les moyens de faire la guerre nous acceptons cette proposition. On ne peut rien demander d'autre. »

    L'état-major d'Oujda semblait suffoqué. Croyant à une manœuvre d'intoxication des services français, il avait demandé la répétition du message accompagné de chiffres d'identification prouvant l'authenticité de l'origine. Si Salah avait donné toutes les précisions voulues et avait envoyé un deuxième message encore plus virulent.

    Heux transmit ces informations à son patron. Le colonel Jacquin avait tout de suite senti que cette fois il y avait un espoir d'aller au-delà d'une simple opération d'intoxication. Jacquin savait la valeur du chef de la wilaya 4. Qu'un homme aussi sérieux, aussi mesuré, aussi estimé de ses troupes que Si Salah prenne de pareils risques et se révolte ouvertement contre ses chefs de l'extérieur valait qu'on s'en occupe sérieusement. Il fallait absolument établir la liaison. Heux fut chargé de la mission.

    Un vieux cheikh faisant fonction de cadi à Médéa servit d'intermédiaire. Oh, ce ne fut pas facile ! Apparemment, le cadi jouait la carte française mais Heux le soupçonnait depuis longtemps d'entretenir des rapports avec la rébellion. En outre il savait que les hommes de la wilaya 4 cherchaient, par son intermédiaire, à nouer des contacts avec les autorités françaises. Il fallait les favoriser sans brusquer les choses. Heux vint trouver le cheikh et après avoir suffisamment tourné autour du pot pour que la politesse orientale fût sauve, il amena la conversation sur la guerre, sur les chances de paix qu'on laissait échapper.

    « Par exemple, dit-il au vieil homme, toi qui es la sagesse même, tu devrais conseiller aux hommes du maquis...

    - Mais je ne les connais pas, coupa le cadi, indigné, je n'en ai jamais vu. »

    Heux l'apaisa : « Bien sûr, mais cela pourrait l'arriver. Tu es très connu. Ta sagesse est de bon conseil, alors les hommes du djebel voudront peut-être en profiter. D'ailleurs, tu ne serais pas le seul à Médéa à avoir des contacts avec le F.L.N. Il y a tant de colons européens qui payent régulièrement pour ne pas voir leurs récoltes détruites ! » Le vieux cadi souriait dans sa barbe. Heux poursuivit : « Eh bien, s'ils te demandaient conseil, rappelle-leur que le général de Gaulle a proposé la paix des braves. Que son offre a toujours été rejetée par le G.P.R.A. Bien sûr, pour eux c'est facile. Ils sont bien à l'abri dans leurs palaces et leurs somptueuses villas. Mais les maquisards, eux, pourraient y penser. On les sait courageux, c'est pourquoi il ne leur demande pas de se rendre, loin de là, mais de faire la paix avec lui. Parle-leur. »

    C'était assez pour une première fois mais Heux revint plusieurs fois à la charge. Enfin, au mois de mars, le cadi annonça :

    « J'ai vu Si Lakhdar, le responsable politique de la wilaya. Il m'a il que les hommes se sentent abandonnés. Ils sont fatigués des promesses jamais tenues par l'extérieur. Il serait prêt à discuter sur la base des propositions du général de Gaulle.

    - Et comment faire ? Interrogea Heux.

    - Ils ne veulent pas discuter avec vous. »

    Cela faisait l'affaire de Heux qui ne voulait jouer aucun rôle dans une éventuelle négociation. L'officier du B.E.L. préférait rester en observateur et pouvoir intervenir au gré des circonstances.

    « Comprenez-les, poursuivit le cheikh. Ils ne veulent avoir aucun contact avec les militaires ni avec les gens du délégué général. Ils n'ont pas confiance. Ils disent que les militaires vont les matraquer les tromper. Et que les civils ne représentent rien. Ils veulent établir un contact avec un émissaire important du pouvoir parisien.

    - Cela me semble difficile.

    - Ne vous en occupez pas. Ils y parviendront. »

    Le brave homme semblait avoir une idée très précise de la suite à donner à l'affaire. Le B.E.L. avait lancé l'amorce, il était préférable d'attendre que la situation mûrisse. Il serait temps de la relancer.

    Le cheikh de Médéa allait vivre une extraordinaire aventure. Lui aussi voulait que l'affaire aboutisse. Comme toute la population musulmane, il était las de la guerre. Mais il ne fallait pas faire de faux pas. Les djounouds étaient épuisés, certes, mais encore très méfiants et peu enclins à se faire «rouler» ni à passer pour des traîtres en discutant avec l'armée. Le cadi s'ouvrit de ses craintes au libéral procureur d'Alger, M. Schmelk, nommé après la grande valse des Barricades. Celui-ci conseilla de se rendre à Paris et lui Obtint un rendez-vous du garde des Sceaux, son ami Edmond Michelet. Et le 19 mars, place Vendôme, le vieil homme confiait ses espoirs et ses angoisses au ministre de la Justice.

    Le lendemain le premier ministre, Michel Debré, apprenait la possibilité de conversations entre les chefs d'un des principaux foyers de rébellion en Algérie et des représentants du gouvernement. Aussitôt il en informait brièvement le général de Gaulle.

    « Sauf contre-indication de votre part, dit-il au président de la République, j'irai personnellement au fond de cette histoire.

    - Comme vous voudrez. »

    De Gaulle chargea son homme de confiance pour les affaires algériennes, Bernard Tricot, d'en suivre le déroulement pour l'Elysée.

    Pour sa part, Debré désigna son directeur de cabinet, Pierre Racine, et le chef de son cabinet militaire, le général Nicot. Celui-ci, qui ne pouvait se déplacer en Algérie, délégua ses pouvoirs pour cette mission à l'un de ses adjoints : le colonel Mathon. L'équipe Tricot-Mathon, Elysée-Matignon, était constituée. L'affaire Si Salah commençait.

    La première rencontre eut lieu en début de soirée, le 28 mars 1960, à la préfecture de Médéa. A l'heure prévue, tels des fantômes sortis de l'ombre cotonneuse, trois hommes en burnous gris pénétrèrent dans le jardin de la préfecture et franchirent la porte latérale du bâtiment officiel où les attendait le préfet Cayssa. Celui-ci les conduisit jusqu'à un bureau du premier étage et se retira. Face à face se retrouvaient pour la première fois depuis le début de la guerre d'Algérie trois représentants des combattants les plus durs de la rébellion algérienne et deux des plus proches collaborateurs du général de Gaulle et de Michel Debré. Il y eut un instant de gêne. Chacun restait immobile. Sur la défensive. Puis Bernard Tricot et le colonel Mathon s'avancèrent et se présentèrent. A l'énoncé de leurs titres de représentants des deux plus hautes autorités françaises — le président de la République et le premier ministre — les visages des trois hommes s'éclairèrent. Ils se dégagèrent de leurs burnous.

    « Nous sommes parmi les principaux dirigeants de la wilaya 4, dit l'un d'eux, un homme mince, le visage fin et ouvert. J'en suis le responsable politique et voici un membre du conseil de wilaya et le responsable local du F.L.N. pour la ville de Médéa. Nos noms n'ont pas d'importance. Nous les échangerons plus tard.

    - Vous n'avez pas eu de difficultés pour parvenir jusqu'à nous ? interrogea Mathon.

    - Non, les promesses ont été tenues. Nous n'avons vu personne. » Puis les quatre hommes s’engager dans une série de questions sans importance sur le temps et l'état de la route, histoire de briser la glace et d'échanger quelques mots.

    « Nous n'avons rencontré ni militaires ni patrouilles, renchérit le responsable local. Tout s'est passé comme nous l'a dit le cadi. Très simplement. »

    Mais pour que tout se déroule « très simplement » il avait fallu mettre le général Roy, commandant la zone de Médéa, dans la confidence ! Delouvrier, Challe et Jacquin, les trois seuls hommes qui à Alger soient au courant de la mission extraordinaire, avaient rassuré Tricot à son propos.

    «Le général Roy est un homme très droit, très intelligent, très fin politiquement. Il comprendra et fera en sorte qu'aucun chef d'unité ne déclenche une opération malheureuse.»

    Il suffisait en effet du zèle intempestif d'un sous-lieutenant à la tête d'une patrouille pour tuer ou arrêter les envoyés du F.L.N. et mettre fin à tous les espoirs de paix ! Challe avait donc recommandé à Roy de suspendre toutes les opérations dans son secteur, puis les envoyés de Paris avaient mis au point avec le commandant de Médéa un itinéraire que les émissaires du F.L.N. pourraient emprunter en toute sécurité. Protéger des hommes que l'on considère depuis six uns comme des ennemis n'était pas chose facile à expliquer à un militaire. Mais le général Roy avait très bien « compris ». Et les (uns responsables F.L.N. étaient là sains et saufs dans un secret presque absolu).

    « Avant que nous discutions en détail des possibilités d'un cessez-le feu, commença l'un des trois maquisards, je voudrais tout de suite préciser un point. Une chose très importante et qui engage tous les combattants de la wilaya que nous représentons. »

    C'était le responsable politique qui avait pris la parole. Il se posait ainsi en chef de la délégation aux yeux de ses interlocuteurs français.

    « Nous voulons la paix, poursuivit-il, mais il ne s'agit pour nous ni d'aman ni de reddition. Encore moins d'une trahison personnelle. Nous représentons nos camarades combattants du maquis de la wilaya 4 et notre volonté sera, dans toutes nos discussions, de les associer à tous les points sur lesquels nous pourrions nous mettre d'accord. »

    Mathon et Tricot acquiescèrent, satisfaits. L'homme exprimait avec aisance et clarté tout ce qui était sous-entendu lors des contacts établis par le cadi. Le dialogue pouvait commencer.

    Bernard Tricot rassura ses interlocuteurs. Personne n'entendait assimiler ces conversations à une reddition. Il s'agissait uniquement d'établir de bonne foi les conditions d'un cessez-le-feu, d'une paix raisonnable. Au cours de ce premier contact, l'envoyé de l'Elysée proposa aux trois chefs rebelles un plan de discussion. D'abord évoquer l'aspect technique des négociations : comment arrêter les combats et maintenir ce cessez-le-feu jusqu'à l'autodétermination. Et ensuite parler de l'avenir de l'Algérie.

    Appuyé par ses deux compagnons, le chef politique F.L.N. expliqua que seuls les hommes de l'intérieur voulaient la paix et que Nuls ils étaient capables de l'imposer.

    « Le G.P.R.A., précisa-t-il, est bien loin de nos préoccupations. Nous voyons toujours des gens partir pour Tunis et ne jamais en revenir.

    Le G.P.R.A. est traité en gouvernement, ses membres trouvent cela agréable. Ils n'ont aucune raison de faire cesser cet état de choses. »

    Puis il laissa entendre que l'idée d'indépendance découlant directement de celle d'autodétermination, les combattants de l'intérieur avaient atteint leur but. Il suffisait de se mettre d'accord sur des zones de regroupement des maquis. « Et les armes ? interrogea le colonel Mathon. — C'est en effet un problème, concéda le chef politique. Mais il n'est pas insoluble. Elles pourraient être déposées auprès d'une autorité civile et placées sous une garde mixte. »

    Les combattants étaient donc prêts à déposer et à rendre leurs armes pourvu que l'arrêt des combats ne ressemblât pas à une reddition. L'information était de taille. Il fallait vraiment que les maquis soient à bout de souffle pour envisager pareille mesure.

    Quant à l'avenir politique de l'Algérie, le chef de la délégation le concevait dans une étroite coopération entre Algériens d'origine musulmane et européenne.

    « Nous ne désirons couper les ponts ni avec la France ni avec l'Occident, dit-il d'une voix douce. Chacun a droit de vivre en paix dans son pays. Ce que nous désirons, c'est la fin de la domination européenne. Que nous soyons maîtres de nos affaires sans que les Européens décident pour nous. »

    Voilà un langage que comprenait Bernard Tricot. Pour lui, l'avenir de l'Algérie ne pouvait que passer par là. Décidément, cette première réunion ne se déroulait pas mal.

    « Ce que nous désirons, poursuivit le chef politique, une fois réalisées les conditions d'arrêt des combats, c'est une cohabitation étroite avec les Européens et une coopération importante avec la France. Les combats ont été trop durs, le peuple a trop souffert. Il est à bout de souffle. Nous-mêmes n'avons presque plus de relations avec l'extérieur qui est censé nous représenter. Plus de liaisons radio, plus de messagers réguliers. Il nous faut parfois plus d'un mois pour recevoir des nouvelles de Tunis. Le prix de la réalisation de notre idéal initial est trop élevé. Arracher l'indépendance coûterait trop cher. Nous ne voulons plus continuer dans cette direction. La conception de la paix des braves nous convient.

    -Convient-elle à vos troupes ? »

     « Nos commandants de secteur, répondit celui-ci, sont tous au courant de notre rencontre. Ils l'ont approuvée. Nous devons maintenant rendre compte de nos conversations à notre chef de Wilaya, Si Salah, ainsi qu'au responsable militaire, Si Mohamed. Il est temps de vous dire maintenant que mon nom est Si Lakhdar, responsable politique et adjoint de Si Salah. Le responsable de Médéa ici présent est Abdelatif, et Halim fait partie du conseil de wilaya comme chef de la zone d'Aumale. »

    Lakhdar exprimait ainsi sa confiance et son désir de poursuivre les négociations qui n'en étaient qu'à leurs balbutiements malgré des preuves certaines de bonne volonté. Les cinq hommes convinrent e retrouver trois jours plus tard au même endroit et dans les mêmes conditions.

    « Il serait bon, souligna Bernard Tricot, qu'après avoir consulté votre chef et vos collègues de la wilaya, vous soyez en mesure de définir les conditions de mise sur pied d'un cessez-le-feu efficace et réel. »

    L'ordre du jour de la réunion suivante étant ainsi fixé, les cinq émissaires secrets se saluèrent, toute gêne effacée, Ils n'étaient que des hommes de bonne volonté résolus à mettre fin à un combat. Le jeu était dangereux mais en valait la chandelle !

    C'est le 31 mars que se joua l'avenir de ce qu'on allait appeler l'affaire Si Salah. Un avenir plein d'espoir mais aussi de déceptions et de drames qui allaient provoquer des catastrophes...

    A suivre...

    Hors-Serie: Les dessous d'une affaire d'état "L'affiare Si Saleh" 2/3 >>


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  •  Les hommes du nationalisme algériens 1926 -1962.

    Les hommes du nationalismeLes Algériens ne se sont jamais soumis à la domination de l'homme blanc d'Occident ni résignés à la négation de leurs êtres. Ils n'ont jamais capitulé devant un adversaire qui a tout essayé pour les exterminer, a l'image de ce qui a été fait aux indiens d'Amérique et aux aborigènes d'Australie, toujours par le même adversaire, et toute cette spoliation, cette rapine, ce génocide commis au nom de la civilisation et de « la charité chrétienne ». Quelle dérision !

    De la résistance de l'Emir Abdelkader, d’Ahmed Bey, du soulèvement de Mokrani, aux sept années de combat de Libération Nationale jusqu'à la victoire définitive et la fuite du dernier colon, le chemin parcouru en 132 ans de luttes et de sacrifices, fut long et douloureux. L'Algérie, qui comptait neuf millions d'habitants  prospères sous la Régence Turque (W.Churchill), comptait toujours le même nombre d'habitants après un siècle et quart de colonisation, du fait des massacres lors des nombreux soulèvements. Uniquement durant le combat d’indépendance, elle perdit le un dixième de sa force vive, soit plus d'un million de martyrs tombés au champ d'honneur.

    Dés la première Guerre Mondiale (1914-1918) qui a vu la participation des Algériens aux cotés des soldats français, l'élite algérienne prit conscience de son asservissement au contact de l'Occident. Malgré le sacrifice de 25 000 morts enterrés à Verdun, les Algériens continuèrent à être traités en sous-hommes et leurs droits de citoyenneté déniés.

    Les hommes qui marquèrent le réveil du nationalisme algérien dès 1926 ont pour nom l’Emir Khaled, petit fils de l'Emir Abdelkader avec son journal El Iqdam, Messali Hadj, Ferhat Abbas et Abdelhamid Ben Badis.

    Cinq tendances politiques émergèrent à cette époque : les nationalistes, les démocrates, les Oulémas, les républicains et les révolutionnaires. 

    Les nationalistes : Messali Hadj 

    La tendance radicaliser du père du nationalisme algérien, « le prophète barbu », Messali Hadj réclama l'indépendante de l'Algérie dés 1927. Ses militants se recrutèrent parmi la masse populaire et ouvrière émigrée en «métropole ». 

    Ainsi naquit l'Etoile Nord-africaine pour ensuite devenir le Parti     Populaire Algérien (PPA) en 1937, vite interdit pour renaître sous une autre dénomination, le Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD), après la seconde guerre mondiale.

     Les Oulémas : Abdelhamid Ben Badis

    La tendance religieuse, avec l’Islam comme fer de lance, de l'association des Oulémas des Cheikhs Abdelhamid Ibn Badis et de Bachir El Ibrahimi, affirma son orientation :«Le peuple algérien est musulman et à la nation arabe il appartient ».

    Abdelhamid Ben Badis lança son célèbre triptyque :« L'Algérie est ma patrie, l'Arabe ma langue, L'Islam ma religion »

    Le mouvement des Oulémas axa son travail sur l'enracinement de la langue arabe et la lutte contre l'obscurantisme, le maraboutisme et les traditions païennes datant des Grecs et des Romains. Des médersas furent créées, permettant ainsi à une élite arabisante d'émerger par la suite.

    Les démocrates : Ferhat Abbas

    La tendance intégrationniste des francisés de la profession libérale, avec pour leader Ferhat Abbas, milita pour l'intégration et la citoyenneté française.

    Ferhat Abbas rédigea le manifeste algérien dans lequel il réclama l'indépendance, il remit ce document aux alliés débarqué en 1943 en Algérie.

    Dans son parti, l’U.D.M.A (Union Démocratique du Manifeste Algérien), Ferhat Abbas et ses amis, les élus de l'Assemblée Algérienne de l'époque, fut l'animateur zélé de cette tendance.

    Dans son fameux article, il nia l'existence d'une nation algérienne. Il se rattrapa par la suite et rejoignit en 1956 avec ses amis le train de la révolution en marche. Les trois figures du nationalisme algérien, le populiste Messali Hadj, le religieux Cheikh Ben Badis et 1e moderniste Ferhat Abbas ont tenté de se fédérer en créant les Amis du Manifeste et de la Liberté, mais sans suite.

    Les républicains : le parti communiste

    Le pole d'une  république laïque francisante créa le parti communiste algérien (PCA) qui n'est en fait qu'une succursale du parti communiste français sans aucune influence sur le peuple algérien mais très entreprenant en raison, de la formation de ses militants et de son organisation dans l'Internationale Communiste.  

     Les révolutionnaires : Le FLN

    Les quatre partis politiques précités -MTLD, UDMA, Oulémas, PCA – n’étaient pas prêts à l’action directe, de lutte armée.

    Le MTLD et son Zaim, le charismatique Messali Hadj, ne faisait que palabrer et ne définissait aucune stratégie pour accéder à l’indépendance de l’Algérie qu’il réclamait depuis trente ans, c'est-à-dire depuis 1927.

    Entre temps, les Algériens mobilisés dans l'armée française durant les deux guerres mondiales  14-18 et 39-45 ainsi que durant la guerre du VietNam, prirent conscience de leur statut de colonisé. Leur volonté de secouer le joug du colonialisme s'affirma et s’enracina  farouchement dans le subconscient des Algériens.

     Le 8 mai 1945 

    Le sacrifice des Tirailleurs algériens qui se sont illustrés une deuxième fois sur tous les fronts de la Guerre Mondiale 1939-1945, au point d’être surnommer les ogres des champs de bataille, durant, lesquelles bataille, brilla le sous lieutenant Ahmed Ben Bella à coté du marocain Oufkir lequel perdit un œil dans l’assaut final du Mont de Cassino, qui était farouchement défendus par les Allemands.

     La victoire des alliées sur les nazis, fit émerger le droit des peuples a se gouverné par eux même, et pour les peuples asservis, l’espoir de libertés. Mais les colons d’Algérie ne le voyer pas comme cela. Et le 8 mai 1945 sonna la rupture définitive d’entre les colons et les colonisées.

    Les Algériens, alors qu'ils fêtaient à leur manière la fin de la guerre et réclamaient en même temps la reconnaissance de leur rôle dans l'octroi de l’indépendance à l'Algérie, l’armée coloniale et les forces répressives à l'image des SS nazis participèrent à la curée en fusillant à bout portant femmes, vieillards et enfants comme l'ont montré les images intolérables des actualités françaises de l’époque. Les colons ne lésinèrent pas sur le nombre de personnes abattues froidement sans état d'âme. Peu importe le nombre de morts (45000 assassinés), la mort d'un seul algérien ce jour là, est une mort de trop que le peuple algérien n'effacera jamais de sa mémoire. Kherrata, Guelma, Sétif furent les théâtres de ces massacres comme au temps du début de la colonisation.

    Dix sept années après ce forfait, les Pieds Noirs pleurèrent leur éden perdu, Bâb el Oued et leurs merguez.

    A la suite du massacre du 8 mai 1945, le peuple comprit qu’il ne pouvait plus rien attendre de la France, et des ultras de l’Algérie française, et que seule la lutte armée était en mesure de lui restituer sa dignité et sa liberté.

    Le 15 février 1947, les militants les plus convaincus par l’idée de la nécessité de la lutte armée pour la libération de la patrie, décidèrent de l’action clandestine et mirent sur pied une organisation secrète (O.S). Hélas, elle fut vite découverte et ses membres chasés et emprisonnés, ce qui retarda le lancement de la lutte armée. Il faut attendre mars 1954 pour voir naître, sur les débris de l'O.S, le Comité Révolutionnaire pour l'Unité et l'Action (CRUA).

    Entre-temps, une crise dite « berbériste » éclata entre les révolutionnaires et depuis ne cessa d'envenimer les relations entre les dirigeants de la lutte algérienne, Ahmed Ben Bella, «l'Arabe» et Ait Ahmed  «le Berbère». C’est l'arabophone contre le berbérophone, alors que tous les deux sont des Algériens l'un parlant l'arabe et l'autre sa langue maternelle, tous deux issus du même peuple. La crise actuelle que vit la Kabylie n'est que la continuation de celle de mars 1949.

    Le M.T.L.D éclata entre deux groupes rivaux, le pro-messalistes et l’anti-messalistes dénommés « Centralistes ». Liamine Debaghine qui assura, durant l'emprisonnement de Messali Hadj, un certain temps la direction du MTLD fut la première victime des réglemente de compte et exclu du parti en 1949. Boudiaf et Ben Boulaid, passèrent alors à l'action et créèrent le CRUA en alliant centralistes et rescapés de l'O.S volontaires pour la lutte armée.

    A la veille du déclenchement de l'insurrection qui va embraser le terre d'Algérie, ni les Oulémas des religieux, ni l'UDMA des Démocrates légalistes qui faisaient encore confiance à la métropole pour qu'elle leur octroie l'indépendance, ni Messali Hadj et son parti le MTLD, qui deviendra par la suite le MNA ennemi du futur FLN, ni le parti communiste algérien, n'étaient prêts pour l'action directe.

    Celui qui était prêt a la lutte armée, c'est le peuple algérien dans sa majorité qui n'attendait que l’occasion de se soulever. Mais pour ce faire, devant une classe politique divisée (et qui le restera a ce jour), sans guide, sans armée, sans organisation, il ne rester que l’Islam comme levier de soulèvement. Le signal de l’insurrection fut donné, par une poignée d’hommes décides a arracher l’indépendance, par le sacrifice suprême de la vie humaine. Seul alternative qui rester, à un peuple uni autour de deux objectifs, « l'indépendance et l'islam », faire du combat politique de libération, un Djihad religieux, et au nom d' « Allah Akbar »  prendre les armes pour engager la lutte de libération nationale  et chasser l'occupant de son pays l’Algérie.

    Le déclenchement des actions armer, fut donné par une poignée d’hommes, irréductibles, décides, à mourir pour l’indépendance de la patrie. A leurs têtes, neuf hommes : Ahmed Ben Bella, Ait Ahmed, Mohamed Khider, Krim Belkacem, Most’fa Ben Boulaid, Mohamed Boudiaf, Didouche Mourad, Larbi Ben M'Hidi, Mohamed Khider et Rabah Bitat. Ils  furent à l'origine de la déclaration du Front de libération Natio- nale (FLN) et de l'Armée de Libération Nationale (ALN). Cette Déclaration définit les objectifs à atteindre. Et le 1er Novembre 1954, à 0 heures, les premières opérations furent lancées à travers tout le territoire national. Le peuple comprit le signal et s’engagea à son tour dans la lutte, cette lutte qui prit l’effet d’une révolution.

    En emprisonnant cinq des chefs de la Révolution Algérienne, Ben bella, Ait Ahmed, Khider, Boudiaf  et Lacheraf et en on tuant trois autres à savoir Ben Boulaid, Didouche Mourad et Larbi Ben M'hidi, la France pensait avoir décapité l’organisation FLN/ALN. Ce qu'elle semblait oublier, c'était que l'ALN est une armée de « sans culotte » dont les chefs ont combattus sur tout les front de 14-18, 39-45 et la dernière guerre coloniale française du Vietnam.

    Si Dien Bien Phu a sonné le glas du colonialisme, l’Algérie fut son tombeau.

    La Révolution Algérienne n’a eu qu’un seul héros : le peuple. Tous ses chefs, les plus prestigieux sont tombé au combat, assassinés, dans les geôles françaises ou tués par leurs frères de combat. Les rescapés ne durent avoir la vie sauve que parce qu’il se trouvaient aux frontières ou dans les geôles françaises tels les cinq chef historiques.

    Krim Belkacem « cœur de Lion » déjà au maquis avant 1954, s’il fut le négociateur d’Evian, ne put être le guide de la révolution.

    Boudiaf rappelé au pouvoir en 1992 aurait put être le « De Gaulle algérien » mais lui, il n’a pas ses la chance d’échapper à ses bourreaux.

    La déclaration du 1er novembre 1954

    L’appel du 1er novembre 1954 au peuple algérien s’adressait à tous les patriotes de toutes les couches sociales, à tous les partis et mouvement avec pour but « l’indépendance et la restauration de l’Etat Algérien Démocratique et Social, dans le cadre des principes Islamiques et dans le respect de toutes les libertés, sans distinction de race ni de religions ni de confessions. »

    Dans le nouvel Etat algérien qui naîtra des ruines du colonialisme peuvent vivre cote à cote musulmans, chrétiens, juifs, laïcs et Pieds Noirs. Le nouvel état sera une République Démocratique, Sociale, Libérale, de Droit, mais c’était sans compter sur les communistes qui introduisirent le virus communiste d’une idéologie étrangére aux mœurs du peuple algérien lors de l’élaboration de la plate forme de la Soummam et qui en firent « une Démocratie Populaire » à l’image des répliques socialistes du bloc de l’Est.

    La plate Forme de la Soummam 1957

    Elle dota la révolution algérienne sur le plan organisationnel d’instances dirigeantes :

    • Le FLN comme représentant de la nation algérienne.
    • Le CNRA comme parlement.
    • Le CCE comme exécutif.
    • L’ALN le bras armé.
    • La wilaya unité d’action.

    Par la suite un gouvernement provisoire (G.P.RA) fut crée pour donner plus d’envergure a la Révolution algérienne au plan international et à l'ONU. Ferhat Abbas fut le premier président de l'Algérie combattante (19 septembre 1958).

    L'orientation de la doctrine de la révolution algérienne prit une autre tournure avec l'élaboration de la Plate Forme de la Soummam qui fut rédigée par des communistes.

    Il n’est plus fait référence à l'islam et dans le plus pur style communiste, il est question de socialisme, de prédominance des hommes de l'intérieur sur ceux de l'extérieur et du militant politique sur le militaire.

    Leurs intentions étaient claires. Elles visaient uniquement à éliminer les chefs historiques qui se trouvaient en mission à l'extérieur depuis le début du déclenchement de la révolution armée et faire du maquisard un simple soldat au service des idéologues incarnés par Abane Ramdane la nouvelle tète pensante qui s'est affirmée lors de ce congrès. Ses pairs de l'extérieur ne l'entendant pas de cette façon, l’éliminèrent à Kenitra, au Maroc, le 27 décembre 1957.

    La lutte pour le pouvoir

    L'assassinat de Abane Ramdane, rigoureux patriote, qui quelque soit ses erreurs et ses défauts, ne méritait pas d’être frapper dans le dos par ces frères d’armes. Son assassinat, inaugure l'ère du règlement de compte et des liquidations politiques qui aller devenir monnaie courant des années à venir.

    Combien de militants; furent éliminés du simple fait qu'ils soient instruits. Parmi le peuple, les militants avisées, pensait qu’ils y avait des futurs cadres de la nation, qui se trouver en formation à l'étranger, chez les pays amis, afin de se préparer à assurer la relève de la France, lorsque viendra I'indépendance du pays. Mais hélas la seule de relève  dans l’ALN c’est les anciens officiers déserteur de l’armée française qui ont rallier l’ALN, et les seul cadres, c’est les anciens fonctionnaire de l’adminis-tration coloniale. Quant aux bons éléments, des authentiques patriotes, ils furent éliminer pas les services spéciaux français, qui utilisèrent tout les stratagèmes pour arriver à cette fin. A travers ses ramifications le S.D.E.C.E, monta des opérations plus pernicieuse les unes que les autres, dont le plus crapuleux exemple et sans contexte celui de l'opération dite de la " Bleuite ". Lancée par les spécialistes de la guerre psychologique, le piége consister a faire douter, jusqu'à soupçonnés ces cadres « d’intelligence avec l’ennemi », la suite est connus, ces hommes de valeurs furent, en grand nombre, assassinés par les leurs. Hélas ce fut là d’immenses tragédies.  

    La lutte pour le pouvoir fait rage chez les politiciens alors que le peuple combat et leur fait confiance.

    Ferhat Abbas de l'UDMA est destitué de son poste de président du GPRA le 27 août 1961 et remplacé par Ben Youcef Ben Khedda, un centraliste. Ce dernier pour sa première action politique, alors que le cessez le feu venait d'être signé en mars 1962, s'empressa de limoger le jeune colonel Houari Boumediene, l'artisan de la mise sur pied d'une armée moderne à Oujda et à Ghardimaou de son poste de chef d’Etat Major de l'armée des frontières et de l'ALN.

    Le limogeage de Ferhat Abbas et de Houari Boumediene par le clan des Centralistes sonna le glas des instances de la révolution.

    La réunion de Tripoli du 4 juin 1962 qui regroupa tous les dirigeants des instances de la révolution -chefs historiques, CNRA, CCE, GPRA, EM, Wilaya- pour élire un Bureau Politique avec pour mission la prise en charge des destinées de l’Algérie à la veille de son indépendance consacra définitivement leur division.

    Confirmant la règle d’Ibn Khaldoun à propos des arabes, à  Tripoli les Algériens « s'entendirent pour ne plus s'entendre ». C’est la fin de l’union sacrée et du consensus national prévalant durant le combat de libération national. 

    Une fois libres les Algériens revinrent à leurs vieux démons : la lutte des clans et la division. Quelle aura été l'avenir de l'Algérie si les dirigeants de la révolution étaient rentrés unis dans Alger libéré le 5 juillet 1962. 

    Confiant dans ses instances et en ses chefs, mobilisé comme du temps de la guerre le peuple algérien aurait continué à créer des miracles, c’est plus que certains.

    Les accords d'Evian : 19 mars 1962 

    De Gaulle, se rendant Compte de l'enlisement de son pays, la France, devenu « le pays malade de l'Europe » dans une guerre qui ne voulez pas dire son nom, et comprenant que  « les Algériens et les Français sont comme l'eau et l'huile et qu’ils ne sont ni assimilables ni intégrable au risque de voir son village natal Colombey les deux églises, devenir « Colombey les deux mosquées », préféra négocier avec «les braves» à Evian.

    C'est Krim Belkacem, l'homme libre du Djurjura, qui aura l'honneur et l’immense privilège de conduire la délégation algérienne aux accords d'Evian, et d’en parapher le document final.

    Le CNRA ratifia en 1962 les accords d'Evian qui reconnaissent à l'Algérie l'indépendance politique, économique, et militaire sur la totalité de son territoire y compris le Sahara et son pétrole et gaz.

    Ces accords, du premier article jusqu'au dernier, défendaient les intérêts de la France et des Pieds Noirs en Algérie. Malheureusement, ou heureusement, ces derniers, devant la menace de l'OAS (Organisation Armée Secrète) et les exactions dos activistes racistes et xénophobes, prêtèrent prendre la valise et rentrer en Métropole.

    Le 19 mars, le Cessez le feu est proclamé en Algérie et tous les prisonniers sont libérés.

    Le 5 juillet 1962, la France remet ses pouvoirs à l'Exécutif Provisoire installé au Rocher Noir présidé par Abderahmane Farés, lesquels pouvoirs auraient dus être remis au Président du G.P.R.A, Ben Youcef Ben Khedda s'il n'avait pas décidé de « rentrer chez lui à Blida » après l’échée de la dernière réunion de Tripoli.

    Là c'est une nouvelle histoire qui commence.

    L’Algérie algérienne : un demi « siècle » 50 ans de crise politique :

    19 mars 1962- 5 juillet 1962 : Période du cessez le feu

    Ce fut le tournant de l'histoire d'Algérie. 119 « longues journées qui ont fait que l'Algérie ne sera ni l'Australie, ni la Nouvelle Zélande, ni l'Afrique du Sud, ni même la Tunisie ou le Maroc.

    Ces 119 jours virent le déménagement de la France d'Algérie. Tout ce qui rappelle la présence française et qui est transportable a été embarqué sur des cargos en partance vers la Métropole: canons, chars, blindes, camions, jeeps, archives, stèles, statues, fontaines, matériel agricole, troupeaux….

    Les colons préfèrent la valise au cercueil selon, l’ancien slogan reprit par l'OAS, et les Accords d'Evian, avec le départ massifs des colons se retrouvaient vidés de leur substance et sans objet

    L'OAS des activistes mènes par le «quarteron » de généraux fêlons (Massu, Salan, Jouhaux, Bigeard) et les escadrons de la « main rouge » de triste renom, pratiqua la politique de la terre brûlée : usines, villa, immeuble, et appartements sont plastiqués. La bibliothèque de l'université d'Alger est incendiée. Des étudiants, des cadres sont abattus. Mouloud Feraoun 1’écrivain est assassiné.

    Les écoles sont fermées. Les dockers du port sont assassinés dans des explosions de plastique, d’obus de mortiers et de bazookas. L'Oranie, une région « pacifiée » a vécu le martyre. Les autres régions comme le Constantinois, ou le Sud algérien furent épargnés de cette terrible furie, ce nihilisme sans bornes, cette folie meurtrière, ce désespoir sans fond dus à la haine du  « Bicot » et de l'Arabe.

    Les Pieds Noirs pleurèrent leur Fatmas, leurs Ya Ouleds leurs cireurs, leurs vergers, leurs villas, leurs fermes, leurs plages et leur Algérie « française », « pays de rêves, de lumière et d'enchantement » selon la chanson apprise sur les bancs de l’école communale.

    Le chanteur Enrico Macias, l'enfant de Constantine, immortalisa la perte de l'Algérie dans sa chanson, ô combien nostalgique, de « ma maison, ma maison ». Adieu l'Algérie française, monsieur, et vive l'Algérie algérienne pour le meilleur et pour le pire.

     L'été 1962 : période de transition

    L'Algérie accède à l'indépendance dans l'indivision de ses politiciens comme toujours, mais dans limité de son peuple en liesse et de son territoire y compris son Sahara.

    Le colonel Houari Boumediene, de son vrai nom « Boukherrouba Mohamed », l'ascète, au visage émacié, au regard perçant, pénétra en conquérant à Alger, à la tête de la seule force organisée, disciplinée, politisée, l'armée des frontières, qu'il a su mettre sur pied, avec l'apport d'officiers de métier déserteurs de l’armée française, qui ont fait leur preuve dans l’ALN.

    Alors que les hommes de l'Etat Major général (E.M.G) et des seigneurs de la guerre des Wilayets s'entretuent dans une lutte fratricide pour le pouvoir, le peuple lui, uni dans la joie et la dignité retrouvée, retrousse les manches et s'empare des «biens vacants», usines et fermes, tandis que les bureaux et services, sont pris en charge par des sans grades: employés, enseignants, infirmiers, simples agents ou portiers, il se produit ce que personne n’avait crut possible, les indigénes avait relever le défit. C'est le miracle, l'Algérie fonctionne malgré le départ des européens. Les colons qui prédisaient le chaos et la paralysie du pays, n’avaient pas prévus cela Télévision, radio, administration, usines, domaines agricoles, rails, services, écoles, tout a continué à fonctionner comme par le passé. Le peuple avec son génie a pris la destinée du pays en main.

    Malheureusement, les « marsiens », les arrivistes, les bureaucrates, les gauchisants ne l'entendirent pas de cette oreille. Pour eux prendre la place du colon et s'incruster dans ses pantoufles est la meilleure manière d'assurer leur avenir et celui de leurs enfants.

    • Les casernes évacués par les quarante cinq mille soldats de la force locale mise sur pieds durant le cessez le feu furent occupées par l'armée du colonel Boumediene.
    • Le GPRA démissionna et son président Benkhedda préféra rentrer dans à Blida, sa ville natale, pour selon ses dires, éviter au pays, un bain de sang, et ce alors qu'il ne représentait que lui-même et qu'il était la cause du déclenchement des hostilités en ayant destitué Houari Boumediene du poste de chef  de l'Etat Major.
    • La Wilaya II du Constantinois qui s'est opposée aux forces
      du colonel Boumediene vit ses militants pourchassés, emprisonnés et certains d'entre eux tués.
    • Le CNRA a volé en éclat et sa composante disparate ne représentant qu'elle-même ne fut d'aucune autorité pour le pays. Pendant ce temps, le peuple algérien panse ses plaies béantes et les hommes de bonne volonté travaillaient dans l'anonymat à réparer les dégâts de sept cruelles années de guerre :
    • Plus d'un million de martyrs laissant des veuves avec 400 000 orphelins, « les enfants de Chouhadas », 600 000 frontaliers réfugiés au Maroc et en Tunisie, fuyant leurs terres minées, leurs récoltes brûlées, leurs villages bombardés, rasés, leurs forêts incendiées au Napalm, ayant tout perdu, ils sont ruinés.
    • Deux millions de personnes déplacées pour mettre en échec la formule chinoises qui dit que le « maquisard est comme un poisson dans l’eau » parmi la population. Et l’occupant croyant en venir à bout décida de vider la campagne et les zones montagneuses de leur population. Ils furent internés dans des centres de regroupement pour ne pas dire de concentration tel le fameux centre de Djorf.
    • La violence et le pillage, qui ont sévit durant le temps du cessez le feux, avait presque totalement disparut durant cet été de l'indépendance, où il n’y avait alors aucun pouvoir officiel, et malgré ce vide, le pays n'a pas sombré dans l’anarchie. Il y eut bien sur l'occupation des appartements et villas en vacance. Des règlements de compte, et ou des vengeance, initier par des bandes de criminelles libérer des prisons, après la libération des détenus politique. Et de fait il y a de bonne raison de croire qu’en général, l’ordre fut maintenue au mieux que faire se peut, et ce, sur tout le territoire national, grâce à la vigilance et à la mobilisation du peuple algérien qui regardait la mort dans l'âme, les membres de l’ALN, frères de combat, s’entre-déchirer, pour ne pas dire s’entretuer. Chez le peuple quelque chose se brisa. Et c’est le début de la crise de confiance.

    A partir de la crise qui secoua le pays durant l'été 1962, le peuple ne croira plus dans les dirigeants à venir. Il regarda venir et laissa faire, sans parti pris avec aucun clan.

    L'ordre (Enidham) du FLN dans les villes et de l’ALN dans les campagnes qui maintenait d'une main de fer le peuple algérien et lui faisait appliquer leurs mots d'ordre à la lettre a disparu à jamais dans la tempête qui opposa l'armée des frontières aux troupes de la wilaya V. Plus rien ne sera comme avant. Une formidable force qui pouvait soulever des montagnes, si elle était restée unie tel qu’elle l’était durant la période de la lutte de libération, venait d'être hypothéquer par l'incurie d’ambitieux politiciens qui ne pensaient qu'à leurs intérêts mesquins.

    Il est vrai, qu'à part quelques noms valables, la plupart des chefs connus de la Révolution sont morts au combat ou se sont retirés de la scène politique. El ne restait plus que des inconnus et de nouveaux venus.

    Boumediene et son équipe, personne n'en savait rien, le peuple ne connaît pas leur nom. Et non n’a pas entendus parler. Quant à Ben Boulaid, Zighout Youssef, Didouche Mourad, Amirouche, Si El Haoues et bien d’autres héros,  oui ceux là le peuple en a entendu parler un peux partout dans toutes les régions du pays, ou le peuples durant les veilles, se raconter leurs combats. Mais cette faune de nouveaux venus, qui s'agiter autour d'un pouvoir sans maîtres, abandonné par les hommes du CNRA, du CEE, du FLN, de l'ALN, du GPRA, de l'Exécutif provisoire, de la Force Locale, de l'UGTA, de l'UGEMA. Tous ces organismes se sont évaporés dans la nature. Ne restaient plus que deux forces, le peuple et L'armée des frontières du jeune colonel Boumediene malheureusement inconnu du peuple.

    Un nom émergea de ce vide, Ahmed Ben Bella, des cinq kidnappés de l'avion royal marocain par la France, c’était  le plus médiatisé par la presse française.

    Ahmed Ben Bella, le héros du fameux Mont de Cassino, et de la célèbre attaque de la banque d’Oran, pour financer le " Nidham " Ben Bella l'ami de Djamel Abdel Nasser, fut coopté par Boumediene l'homme fort au pouvoir réel à prendre en mains la destinée de l'Algérie.

     20 Septembre 1562, 19 juin 1965: Le pouvoir personnel de Ahmed Ben Bella

    Le règne de Ben Bella fut marqué par :

    • la suspension de la constitution trois semaines seulement après son approbation par le peuple.
    • l'octroi de pleins pouvoirs le 30 octobre 1963 sous prétexte
      de la guerre des sables avec le roi du Maroc et de l'agitation de la Haute Kabylie.
    • Le lancement du Fond de Solidarité Nationale « sandouk tadamoune » qui vit les femmes offrir, en masse, leurs bijoux d'or et d'argent et que par la suite plus personne n'en a plus entendu parler.
    • La rébellion du colonel Chaabani, de son vrai nom Chabane Mohamed, chef de la wilaya du Sud, qui fut exécuté sans procès. 
    • l'exil de Boudiaf au Maroc.
    • La montée au maquis de Ait Ahmed, son arrestation et son  évasion de la prison d’ El Harrach où il était détenu.
    • L'assassinat de Mohamed Khemisti, jeune ministre des affaires étrangère.
    • La visite de Djamel Abdel Nasser en Algérie.
    • La préparation de la Conférence des Pays non Alignés qui verrait l'arrivée des grands ténors du tiers monde  tel Tito, Nehru, Nasser, Sukarno, Castro, avec la construction  de l'hôtel Aurassi, et le Club des Pins.
    • la tenue du Festival Mondial de la Jeunesse Progressiste. 
    • Sur le plan économique, il nationalisa un million d'hectares restés aux mains des colons.

    Ben Bella, c'est aussi le gauchisme avec " l’autogestion ", les nationalisations des « biens mal acquis », des cinémas, la création de magasins pilotes et les formules à l'emporte pièce, qui resteront gravées dans la mémoire des gens : « La graisse des nantis sera fondue dans le hammam révolutionnaire » ou de l’arabisant «nous sommes arabes, arabes, arabes »

    Ben Bella au grand coeur, c'est l'opération prise en charge des « petits cireurs » dans des centres d’enfants. Qu’il mit dans les centres avec les enfants de Chouhadas.

    L'époque de Ben Bella fut marquée par un intégrisme naissant avec 1a loi interdisant la vente de l'alcool aux « Algériens musulmans », la bastonnade des non jeûneurs durant le Ramadhan mais aussi le licenciement des Hazzabas, (célibataires) et les imams qui devaient récitaient les soixante sourates du Coran de mémoire dans des Mosquées telle celle de Constantine, El Katania, sous le prétexte qu’ils étaient rémunérés par le ministère de l’intérieur de la période coloniale.

    Ben Bella, le romantique révolutionnaire qui, après avoir rencontré Kennedy, président des USA, la main encore chaude de son contact, est allé le lendemain embrassé Fidel Castro, le révolutionnaire cubain, bête noire des américains.

    Ben Bella qui occupait déjà quatre ministères, en s'en prenant à l'équipe de Boumediene ministre de la défense chef d'Etat Major et à ses proches collaborateurs tels Medeghri, le ministre de l'intérieur qui démissionna de son  poste et surtout Abdelaziz Bouteflika ministre des affaires étrangères, déclencha le processus de son éviction du pouvoir par le clan qui l'a intronisé, le clan d'Oujda.

    Boumediene se sachant la prochaine victime du « pouvoir personnel » de Ahmed Ben Bella, prit les devants et le renversa un certain 19 mars 1965, alors qu’il était a Oran cotant le ballon pour donner le lancement d’un match de football.

    Ben Bella est parti comme il est venu, sans que le peuple se sente concerné, ni par ce qui lui est arriver, ni par ce qui vas lui arriver. Une page de l'histoire de l'Algérie vient d'être tournée. Ahmed Ben Bella  restera emprisonné jusqu'à l'arrivée de Chadli Benedetti en 1979.

    1965-1978 : L'ère de Boumediene et de son Odjak, le CNRA.

    Le véritable chef de l'Etat c’est le colonel Boumediene patron de 1'ANP (Armée Nationale Populaire) l'héritière de l'ALN. Boumediene, c'est un autre style de gouvernance. II s'appuya sur une équipe de militaires, le noyau central du pouvoir, une sorte d'Odjak et à la périphérie un exécutif de technocrates de grandes compétences, faisant que le peuple avait affaire à une administration bureaucratique du même genre que celle du  maghzen turc de la Régence d'Alger.

    FLN, UGTA, organisations de masse, UNPA, UNFA, ONM, SMA, APC. APW. Tous et toutes servaient de paravents entre le pouvoir réel exercé par le CNRA le conseil national de la révolution algérienne, composé de vingt membres dans Leur grande majorité des colonels de l'ANP. Au terme de junte militaire pour qualifier le régime de Boumédîenne qui fait penser aux dictatures fascistes des pays d'Amérique latine, il lui a été préféré le qualificatif d'Odjak de l’époque Ottomane.

    Boumediene en bon patriote nationaliste, travailla dans l’intérêt de l'Etat algérien et du peuple en bon père de famille selon ses convictions. Mais il se trompa de doctrine. En bon révolutionnaire, baignant dans le milieu gauchisant de son entourage, il ne pouvait être que « Socialiste » épousant ainsi l'idéologie dominante du Bloc de I’Est

    Si tout ce qui a été réalisé sous le régime de Boumediene a été fait au nom de l'Islam, dans un état de droit et d'économie libérale et non selon une idéologie marxiste léniniste Étrangère du pays, l’Algérie aurait fait le gain d'une tragédie décennie sans nom

    Sous Boumediene, c'est la lutte des classes qui fût instaurée, divisant le peuple en ouvriers, paysans, chômeurs, intellectuel opposés aux commerçants, fonctions libérales, bourgeois, terriens et industriels.

    C'est ainsi qu'il fut procédé aux nationalisations de tous les intérêts étrangers à partir de 1975. Et les nationaux telle l’huilerie Tamzali, Tabacs Bentchicou, Chabane électronique .., furent touches par l'étatisation de l'économie.

    Sur le plan politique, Boumediene eut sa charte, sa constitution, son élection présidentielle en tant que candidat unique, son Congrès des Pays Non Alignés et son Festival Panafricain.

    En matière économique, il lança la révolution agraire en lui fixant des limites, et la nationalisation de la propriété privée agricole et la révolution industrielle de « l'industrie industrialisante » avec des usines « clés en mains » et « produit en mains ». C'est ainsi que furent édifiés 2400 unités au total.

    Il y eu aussi l'édification des universités de Constantine et de Bab Ezouar et le complexe omnisport

    Dans le cadre de la mobilisation des jeunes du service national, il entreprît la réalisation de trois grands projets d'intérêt national :

    • -La transsaharienne, route de l'Unité Africaine.
    • -Le Barrage Vert, long de 1200km aux piémonts sud de l'Atlas Tellien.
    • -Les mille villages agraires au profit des attributaires des CAPRA.

    Au cours du régime de Boumediene, deux chefs  historiques furent assassinés à l'étranger, Krim Belkacem à Frankfort fin 1970 et Mohamed Khider à Madrid en 1969. Il  y eut deux " suicides ", celui du ministre de l'intérieur Mohamed Medeghri et du colonel Saïd Abid après le putsch raté de 1957 du colonel Tahar Zbiri. Ce dernier fut arrêté et emprisonné. Quant aux colonel Chabou, Ferhat Abbas, Youssef Benkhedda, et Hocine Lahouel, ils  furent bannis après leur «appel au peuple algérien » le 9 mars 1979 dans lequel ils s'élevèrent contre le pouvoir personnel et l'absence de libertés démocratiques.

    Ben Bella demeura emprisonné. Avec leur parti respectif, Ait Ahmed  le FFS et Boudiaf le PRS, ils rentreront dans l'opposition. Quant aux communistes ils adhérèrent au pouvoir de Boumediene et orientèrent sa politique économique à leur guise en en faisant une économie d'Etat.

    L'islamisme, avec l’arriver de 40000 enseignants égyptiens sympathisants des Frères Musulmans, fit son apparition avec le port des kamis et barbe pour les hommes et le hidjeb pour les femmes.

    Au plan international, Alger devint la « Mecque » de tous les mouvements; de libération et Boumediene,  le champion d'un « Nouvel Ordre Economique Mondial » an profit du tiers monde.

    L'Algérie participa aux guerres israélo - arabe: celles des Six Jours et du Kippour qui verra l’armée Égyptienne de Chazli prendre la ligne de Bar lev, réputée imprenable, dressée le long du cana de Suez.

    Les relations avec le Maroc seront envenimées par l'occupation marocaine avec sa Marche Verte du Sahara Occidental (Rio de Oro) ce qui empêcha, jusqu'à ce jour, la concrétisation de l’UMA (Union du Maghreb Arabe) rêve de tous les Maghrébins.

    Le jour où il commença à parler de voleurs et penser régler le compte de son Odjak-CNRA lors du congrès du FLN en cours de préparation, il fut foudroyé d'une maladie inconnue et emporté du jour au lendemain par la mort, après son  retour du voyage où il assista en Syrie à une réunion des pays de la « fermeté ».

    Le peuple assiste à tous les spectacles, et regarde faire. Il applaudit lorsqu' il lui est demandé d'applaudir et observe la grève lorsqu'on lui recommande de la faire. Tant qu'il a le ventre plein, il épilogue sur la politique dans les cafés et les bureaux.

    L'oeuvre de Boumediene resta inachevée avec sa mort prématurée. S'il était encore vivant, et s'il avait décidé d'une économie de marché, d'un état de droit et de démocratie dans un monde aujourd’hui transformé par l’effondrement du bloc de l’Est, de l’échec de l’économie d’état, il les aurait appliqués dés la chute du prix du pétrole en 1986 et du mur de berlin.

    Le colonel Boumediene est mort un autre colonel le remplace, Chadli Bendjedid, « le plus anciens dans le plus haut grade », copté par son corps d’origine, l’Armée. 


    Noredine Chabane
    Un article de:
      CHABANE Nordine,  en 1944 à Alger, il est modjahid, journaliste et auteur de trois livre "Colonel Amirouche, l'aigle du Djurdjura" 2006, "Guerre d'Algérie et lutte de libération-VOL01" 2011, "Guerre d'Algérie et lutte de libération-VOL02" 2012, il est aussi l'un des initiateurs du Musée du Moudjahid, Directeur du Centre Culturel DEBIH Chérif à El-Madania.


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