Le Blog de la guerre d'algérie, texte inédit, photos rare, des vidéos et interactions
Ce 14 novembre, Briki, Guerroudj et son épouse avaient apporté deux bombes à Yveton avec mission de les placer dans la machinerie de l’usine à gaz du Hamma entre le tuyau de fabrication et l’alimentation. Yveton n’avait pu prendre que Betty — ainsi baptisée par l’étudiant Taleb — son sac étant trop petit pour contenir les deux engins. Jacqueline Guerroudj était donc repartie en voiture emportant la seconde bombe désormais inutile. Briki et Guerroudj devaient revenir à 19h et évacuer le tourneur vers le maquis. La bombe étant réglée pour 19 h 30, il serait loin au moment de l’explosion.
Yveton entra sans encombre à l’usine mais au lieu de placer son sac et la bombe sous sa machine en attendant le moment propice pour la poser, il la laissa dans son casier au vestiaire. A 16h un ouvrier de l’E.G.A. passant dans ce local crut entendre un tic-tac. Il pensa être victime de la «psychose de la bombe» dont tout Alger souffrait mais prêta pourtant l’oreille. Le tic-tac était bien réel et venait du casier Yveton. « Yveton... Communiste... » L’ouvrier fit immédiatement le rapprochement. Fernand Yveton militait jadis au P.C.A. !
A 16h 15, le commissaire du 12e arrondissement, M. Hug, recevait un coup de téléphone angoissé: « Ici, l’E.G.A. Venez vite, je crois qu’il y a une bombe au vestiaire dans le casier d’un communiste»
A 17h, la bombe était désamorcée, Yveton arrêté et fouillé. Dans ses poches le commissaire Hug trouva deux papiers. Le premier portait ces mots écrits au crayon : « Entre 19h25 et 19h30. » Et au verso à l’encre rouge: « Avance du déclic: 5 minutes.» Sur le second papier on pouvait lire : « Entre 19h23 et 19h30. » Et au verso : «Avance du déclic: 7 minutes. » Il y avait une deuxième bombe à l’usine à gaz d’Alger!
Le commissaire Builles raconta à Paul Teitgen les circonstances de l’arrestation. Il était 18h30.
«La première bombe est neutralisée, monsieur le secrétaire général, mais la deuxième? On a fouillé dans toute l’usine à gaz. Impossible de la trouver. Et Yveton refuse de dire un mot.»
Paul Teitgen avait compris. Il fallait qu’Yveton parle.
Là on n’avait plus le temps de réfléchir longuement ni de décrire ses états d’âme face à la torture. Il fallait décider et vite.
Le commissaire Builles s’énervait. Teitgen le connaissait bien. Lui non plus n’était pas pour la torture. Mais entre deux maux... des milliers de morts possibles... des femmes, des enfants... un homme seul qui avoue...
« Il est presque 19 heures, dit Jean Builles, et le papier porte “entre 19h25 et 19h30”; c’est dans une demi-heure que ça doit péter!»
Paul Teitgen était livide. Des souvenirs... des images... 1944, La Gestapo... Et ces hommes au-dessus de lui... la torture dont il n’avait osé parler que bien plus tard... Non! je ne veux pas!... La décision était prise: « Je regrette beaucoup, Builles. On ne torturera pas. Je l’interdis formellement. Je prends le risque de l’explosion. Téléphonez au commissariat du 12e. Ma décision est irrévocable. »
19h05... 19h10... 19h25... 19h30... Les mains posées à plat sur son bureau, Paul Teitgen était silencieux, immobile, 19h35... L’heure était dépassée de cinq minutes... il téléphona à Builles.
Toujours rien.
Au commissariat, Yveton, pressé de questions, n’avait pas été torturé. On l’avait seulement un peu bousculé et il avait fini par expliquer qu’une femme blonde en 2CV ne lui avait donné qu’une bombe, qu’elle avait l’autre. Une immense chasse «à la femme» fut entreprise dans Alger. Toutes les femmes blondes conduisant une 2CV furent arrêtées, fouillées, leur véhicule passé au peigne fin. En vain. La brune Jacqueline Guerroudj était accompagné de son fils qu’elle était allée chercher à l’école lorsqu’elle s’aperçut de ce gigantesque filet qui se tendait sur Alger. C’est l’enfant qui tenait le sac où se trouvait la bombe. Jacqueline se débarrassa de l’encombrant paquet en le glissant dans une camionnette de la police qui stationnait devant un commissariat. On retrouvera l’engin le lendemain. Non amorcé!
Yveton avait également signalé le rendez-vous qu’il avait avec des complices dont il ignorait le nom mais il avait donné le renseignement avec une demi-heure de retard. Briki et Guerroudj ne devaient pas l’attendre plus de cinq minutes. Voyant les camions militaires annonçant la rafle, ils parvinrent à s’enfuir.