Le Blog de la guerre d'algérie, texte inédit, photos rare, des vidéos et interactions
«Tu vas un peu les secouer, recommanda-t-il au jeune boulanger, tu vas leur expliquer nos besoins. Eux là-bas ne vivent pas dans la clandestinité, tout doit être plus facile qu'ici. Et il nous faut des armes. Vite.
- Comment vais-je les trouver ? demanda Yacef.
- Tu vas passer par Paris. Tu verras là-bas Ali Mahsas qui est en contact avec eux. Tu en profiteras pour sonder un peu le bonhomme et voir de quel côté il se dirige. Car pour l'instant il n'a pas l'air très enthousiaste pour rejoindre nos rangs. »
Abane précisa ensuite à Yacef le sens politique de sa mission. Expliquer et faire admettre à Ben Bella, Khider, Ait Ahmed et ceux qui les avaient rejoints la priorité de l'intérieur sur l'extérieur.
« II faut bien qu'ils se mettent dans la tête que c'est nous qui, ici, commandons. Leur rôle est de nous fournir des armes et de nous faire connaître au monde. Il faudra tout de même les féliciter pour Bandoeng. Mais les armes... les armes... C'est pour l'instant le plus important. »
Le 8 mai, Yacef prit l'avion pour Paris.
Lorsque Yacef arriva à Paris, il prit dabord contact avec Terbouche, puis avec Mahsas, la Fédération comptait 2 000 membres! Mais il y avait déjà des tiraillements internes. Terbouche informa Yacef de sa décision de faire sortir Mahsas.
« Je le trouve négligent, inefficace, expliqua-t-il, de plus il voit des flics partout. Peut-être, en sécurtié, sera-t-il plus efficace; moi, ici, je n'en veux plus. Qu'il rejoigne son ami Ben Bella.»
Mahsas, qui avait réellement échappé à deux souricières tendues par la D.S.T. autour de boîtes aux lettres dont les adresses avaient été découvertes sur Bitat à Alger, et qui se savait recherché par le M.N.A., ne demandait pas mieux que de rejoindre «l'extérieur». Il accompagna Yacef Saadi à Zurich, où Boudiaf l'attendait à l'hôtel Couronne.
Yacef remit à Boudiaf un rapport écrit de Terbouche sur la situation en France, et ou déconseillait en outre à Boudiaf de venir à Paris. « Les nôtres sont beaucoup trop bavards, écrivait-il, tu es très connu et recherché. Tu te feras prendre tout de suite. »
« Terbouche a fait là-bas du bon travail, confia Boudiaf à Yacef. Mais il est expéditif! Dans son rapport il me suggère ni plus ni moins que la liquidation de Messali qui est en résidence surveillée à Niort, Il me dit "Ce sera facile. Il reçoit beaucoup et les flics lui foutent une paix royale!" »
Yacef commenta la sentence de mort prononcée par le M.N.A. contre Terbouche et Mahsas et en profita pour mettre Boudiaf au courant de l'offensive que lançait le M.N.A. en Algérie.
«Il va falloir s'occuper sérieusement d'eux, conclut Boudiaf. Maintenant passons à nos affaires.»
Yacef expliqua à Boudiaf la nécessité de contacts sérieux et réguliers entre Le Caire et Alger, et surtout ce que les chefs du F.L.N. en Algérie entendaient par « primauté de l'intérieur sur l'extérieur ». Boudiaf assura que chacun des membres de la délégation extérieure l'entendait bien ainsi, puis il entreprit de raconter à Yacef l'organisation du travail au Caire et les résultats déjà obtenus. Les deux hommes en étaient là de leur premier entretien qui se déroulait dans la chambre de Boudiaf à l'hôtel Couronne lorsqu'on frappa à la porte.
« Qui cela peut-il être ? dit Boudiaf. Mahsas doit rester à l'hôtel Léonard jusqu'à ce que j'aille le chercher... »
La réponse vint bien vite. « Police. Ouvrez. »
Pour la première fois en ce mois de juin 19S5, les autorités helvétiques intervenaient dans les affaires du F.L.N. Les inspecteurs emmenèrent Boudiaf et Yacef dans les locaux de la police où ils retrouvèrent Mahsas. Les trois hommes restèrent pendant dix jours au siège de la police de Zurich, leurs papiers et documents furent saisis, examinés, eux-mêmes furent interrogés sur leurs activités. Les policiers zurichois s'intéressaient fort aux problèmes d'organisation et de structuration du F.L.N. Ils ne cachèrent pas leur surprise devant la présence de Yacef. Un nouveau nom -jusque-là inconnu- à inscrire sur leurs fiches.
En revanche, Mahsas et Boudiaf étaient pour eux de vieilles connaissances.
Au bout de dix jours, les trois hommes furent relâchés et « conduits à la frontière de leur choix ». Ils étaient indésirables en Suisse.
Boudiaf et Mahsas s'embarquèrent à destination du Caire. Yacef refusa de les suivre. Il voulait regagner rapidement Alger. Il demanda d'être conduit en Belgique. Il pensait ainsi embarquer pour Tanger et gagner l'Algérie par le Maroc. Ainsi il évitait la France qui, depuis l'arrestation de Bitat, devait connaître son existence. Arrivé à Bruxelles, les services de police belges le «prièrent» de de quitter sont sol le plus vite possible. Yacef, décontenancé, prit un avion pour Alger via Paris. Il avait bien l'intention de ne pas sortir de la salle de transit. Ainsi il éviterait les contrôles de police.
Mais Yacef ne pouvait se douter que les services spéciaux suisses avaient «travaillé» avec leurs collègues français, qui avaient eu communication de toutes les photocopies des documents et interrogatoires effectués à Zurich.
Le 26 mai, Terbouche, dont la D.S.T. avait lu le rapport à Boudiaf, était arrêté ainsi que les membres du comité fédéral. La Fédération de France était décapitée.
A son arrivée à Orly, Yacef était «attendu» et immédiatement emmené arreté.
Les policiers suisses n'avaient pas osé directement livrer Boudiaf, Mahsas et Yacef à leurs collègues français, mais ils leur avaient communiqué les destinations de chacun des trois hommes. La Sûreté belge, prévenue du passage de Yacef, l'avait alors expulsé immédiatement. Et le jeune homme, dont c'était la première mission, s'était jeté dans la gueule du loup.
Yacef resta une semaine dans les locaux de la D.S.T. Il avait d'abord nié mais les inspecteurs lui avaient ri au nez. Ils connaissaient son nom et ses contacts avec le F.L.N. depuis l'arrestation de Bitat et le rapport que leur avait adressé Djouden ou l'Adjudant, qui avait livré le chef de l'Algérois. Yacef admit alors avoir logé Bitat, mais affirma qu'il ne le connaissait pas sous ce nom et qu'il n'avait agi que sous la terreur. « On menaçait de me tuer si je ne le logeais pas, expliqua-t-il. Et j'ai eu tellement peur que j'ai pris l'avion pour la Suisse... »
On transféra Yacef à Alger où il répéta sa fable.
La police ne lui reprochait que d'avoir logé Bitat. Et comme celui-ci, sous la torture, n'avait pas dit un mot de Yacef, les services de la D.S.T. n'avaient aucune preuve contre lui. Ils résolurent de «l'utiliser». En le relâchant dans quelques semaines de la prison de Barberousse à Alger, contre la promesse d'informer sur les activités du FLN à Alger, quand les «autres» prendraient contact avec lui.
Les policiers algérois étaient décidés à faire de Yacef un indicateur de choix !
D'ou il va « donner » aux services français tous les messalistes rivaux de la Casbah.
Mais ça ne sera que bien plu-tard, entre temps ce n'est qu'à ce moment que la presse révéla l'arrestation de l'envoyer d'Abane.
L'état-major du F.L.N. à Alger l'apprit par L'Écho d'Alger qui titrait : « Yacef Saadi, responsable du C.R.U.A. d'Alger, a été arrêté. » Les journaux algérois, en juin 1955, n'emploient encore que le sigle C.R.U.A. (Comité révolutionnaire d'unité et d'action) et non celui de F.L.N., qui ne fera son apparition qu'en 1956.
Le commentaire de L'Écho du 9 juin ravit particulièrement Abane, le tout était que Yacef, avec qui Abane ne s'entendait pas très bien -il le trouvait trop indépendant-, ne «s'allonge» pas devant la police! Pour le reste, Abane pensait lui trouver rapidement un remplaçant parmi les chefs des groupes-action qui se formaient à Alger.
Au début de l'été de 1955, Yacef Saadi était placer sous ecrous, et Abane pouvait compter sur sa nouvelle équipe «pensante» importante, car il viens de rallier Feraht Abbas et Ben Khedda. La « chasse aux intellectuels » avait bien rendu. Elle compensait un « coup dur », le premier que subissait Abane à Alger : l'arrestation de Yacef Saadi.