Le Blog de la guerre d'algérie, texte inédit, photos rare, des vidéos et interactions
1- La manipulation du SDECE et la confrontation de deux projets de societe
La nouveauté qui se dégage de ces témoignages est la manipulation à distance des services secrets de l’ennemi faisant en sorte d’avantager une tendance du FLN contre une autre, dans le cadre du principe du moindre mal. Pour la France officielle, la tendance novembriste nettement arabo-islamisante héritée du PPA, alliée à l’Egypte (Appel du 1 er Novembre lu à la Radio du Caire par Ben Bella) la préoccupait au plus haut point. Aussi, a-t-elle employé tous les moyens pour que cette tendance soit remplacée par une autre tendance tournée vers l’Occident. Elle voulait réussir comme en Tunisie avec Bourguiba et au Maroc avec Hassan 2 pour faire de l’Algérie sa chasse gardée. Son objectif fut couronné de succès comme l’a déclaré Soustelle après l’adoption de la Plateforme de la Soummam (PFS). Au centre de cette politique se trouve Abbane Ramdane dont la France connaissait parfaitement les penchants idéologiques.
2- La liberation anticipee d’Abbane et les disparitions tragiques de Hamou Boutlelis et de Zeddour Brahim Belkacem
En janvier 1955, au moment où Soustelle était gouverneur général, Abane Ramdane bénéficie miraculeusement d’une remise de peine en pleine guerre. Sa libération anticipée est une grande énigme, car, un autre révolutionnaire, en l’occurrence Hamou Boutlélis, responsable de l’OS de l’Oranie, condamné comme lui à la même peine (1), soit 6 années de prison, n’a été libéré que le 21 octobre 1957. Pire que cela, Hamou Boutlélis libéré fut enlevé à la sortie de prison par un commando de la Main rouge (SDECE) et a disparu à ce jour. Boutlélis était connu pour être un proche de Ben Bella. En mars 1955, ce fut autour des centralistes du PPA Ben Khedda et ses amis d’être libérés. Ce sont eux, avec Abbane, qui seront les véritables artisans du Congrès de la Soummam. Paradoxe, ce qui réunissait Abbane aux centralistes, n’était pas d’ordre idéologique, mais leur opposition acharnée à Messali dont la France colonialiste redoutait qu’il s’empare du leadership de la Révolution, car c’était le seul leader algérien qui n’a jamais envisagé une union avec la France et qui était résolument tourné vers le monde arabe. La bienveillance de l’ennemi envers les centralistes s’est manifestée à une autre occasion. Saâd Dahleb raconte dans son livre «Mission accomplie» (page 69) une anecdote sur Ben Khedda qui en dit long sur les manipulations des services français : en février 1957, après l’arrestation de Ben Mhidi, Ben Khedda s’est rendu à son refuge à trois reprises sans être inquiété, à croire que le refuge de Ben Mhidi soit resté sans surveillance. L’acharnement du colonialisme contre tout cadre ayant des attaches avec l’Egypte s’est manifesté très tôt : ainsi, le regretté Zeddour Brahim Belkacem fut arrêté le 1er Novembre 1954 dans sa ville natale à Oran, et lui aussi a disparu jusqu’à ce jour. Son immense tort a été le fait d’avoir été membre de la Délégation extérieure du Caire, envoyé en mission à l’intérieur avant le déclenchement de la Révolution. Ce fut le premier disparu de la Révolution.
3 – La guerre contre les Messalistes, l’assassinat de Ben Boulaid et les attentats manques contre Ben Bella
Très vite après sa libération, Abbane est devenu l’ennemi acharné des messalistes et de Ben Bella (cf ses tracts et ses correspondances avec la délégation extérieure dans le livre «Le courrier Alger-Le Caire» de Mabrouk Belhocine).
Quant à Messali Hadj, Abbane, qu’on qualifie généralement de fédérateur, n’a jamais tenté de négocier son intégration au FLN, de lui proposer une alliance ou à la limite envisager une coexistence pacifique. Bien au contraire, la main tendue du MNA à travers sa trêve unilatérale ordonnée par Messali le 1erseptembre 1957 a été rompue par le FLN 20 jours après, par l’assassinat de hauts cadres du MNA. Ces actes odieux ont été commandités par les missionnaires d’Abbane pour diriger la Fédération de France du FLN (Omar Boudaoud et Rabah Bouaziz).
Au contraire d’Abbane, les autres dirigeants du FLN ont toujours maintenu l’espoir d’une union avec leur ancien leader, notamment Ben Boulaïd qui, arrêté en février 1955, était défendu par l’avocat de Messali, M° Deschezelles. A travers l’avocat, Ben Boulaïd correspondait avec son ancien chef. Celui-ci a tout fait pour lui éviter une condamnation à mort en organisant un comité d’intellectuels français pour sa défense et en mobilisant le MNA dans ce but par des tracts (en notre possession) et des manifestations.
Il est évident que pour la France, un FLN composé des anciens intégrationnistes (UDMA, PCA, Oulémas) était plus proche du régime bourguibien qu’un FLN allié ou dirigé par Messali. L’acharnement d’Abbane contre Messali entrait parfaitement dans cette stratégie. Ben Boulaïd évadé en novembre 1955, risquait de mettre en échec cette stratégie. Objet d’un attentat à l’explosif en mars 1956, sa mort a été attribuée au FLN dans un tract MNA paru dans la presse algéroise (l’Echo d’Alger du 15 novembre 1956).
Un mois après, en avril 1956, c’est au tour de Ben Bella d’être victime d’un attentat de la Main Rouge, le bras armé du SDECE, à Tripoli en Lybie dont heureusement, il en est sorti indemne.
La présence de Ben Boulaïd et de Ben Bella au « Congrès de la Soummam » risquait de remettre en cause l’adoption de la Plate-forme de la Soummam.
4 - Oiseau bleu, congres de la Soummam et cessez-le-feu tacite
Un autre évènement troublant est intervenu dans les mois précédant le Congrès de la Soummam : il s’agit de l’opération « oiseau bleu ». Cette opération a permis de fournir des armes en grande quantité à cette wilaya, renverser le rapport de forces en sa faveur dans sa lutte contre le MNA et le bouter de la Kabylie. Le témoignage repris du site http://algerie.eklablog.fr/ ci-après est édifiant : « Avant de se séparer (du Congrès de la Soummam, NDLR), on décida d'interrompre l'opération «Oiseau bleu»qui, depuis le gouvernement de Soustelle, continuait sous Lacoste d'armer les Kabyles de Grande Kabylie. Mohammedi Saïd, Amirouche et Krim eurent beau assurer que «tout allait comme sur des roulettes», Ouamrane leur prédit que ça n'allait pas durer. « C'est jouer avec le feu, dit-il. Avec tant d'armes, tant d'argent, peu-t-on compter à ce point sur des hommes que nous ne pouvons pas, et pour cause, tenir régulièrement en main? En outre, quel exemple pour le peuple qui n'est pas dans le secret des dieux. Il voit qu'on combat chez moi à Bouzegza, que l'on combat dans le Constantinois, dans l'Aurès, et qu'en Grande Kabylie on semble pactiser avec les Français.» Une preuve flagrante d’un cessez-le-feu tacite dans la wilaya 3 avant et pendant le «Congrès de la Soummam».
5 - Les incongruites du congres de la Soummam : exclusion d’officiers de l’ALN presents
Un congrès peut-il se limiter à ne réunir que les chefs de la Révolution ? Cela ne s’est jamais vu dans l’histoire. Le total des congressistes qui ont participé était au nombre de six. Trois structures importantes de la Révolution étaient absentes : la wilaya des Aurès, la Délégation extérieure et la Fédération de France. Les raisons de sécurité sont-elles le seul motif de restriction du nombre de présents ? La réponse est assurément négative car, sur les lieux mêmes du congrès, se trouvaient des cadres, des futurs chefs de wilaya maintenus, sans raison, exclus du conclave. Ces cadres sont pour mémoire : Mohammedi Saïd et Amirouche pour la W3, Amar Benaouada et Ali Kafi pour la W2, Sadek Dehilès et Mhammed Bougara pour la W4, soit au total six, autant que les membres qui devaient délibérer. Les décisions politiques de ce congrès, consignées dans la PFS auraient-elles été prises en leur présence ? Assurément non, car, ces mêmes décisions, soumises une année plus tard à une assemblée plus représentative (CNRA composé de 23 membres) ont été purement et simplement rejetées (voir § 8). Par conséquent, c’est la restriction du nombre des membres du « Congrès » qui a permis l’adoption de la nouvelle orientation anti-novembriste comme on peut le constater ci-après.
6 - Les deviations de la plateforme de la Soummam
Première déviation : l’abrogation des principes islamiques de la Proclamation du 1er Novembre 1954 (PN54). Deuxième déviation : alors que la PN54 stipule « l’unité nord-africaine dans son cadre arabo-musulman », la PFS modifie cette formulation par « la Fédération des états nord-africains », abrogeant intentionnellement la mention «arabo-musulman». Troisième déviation : la PFS ajoute « la Révolution algérienne n’est inféodée ni à Moscou, ni à Washington, ni au Caire.» En réalité, cette sentence vise essentiellement l’Egypte dans le but évident de la détacher de la Révolution algérienne, et casser cet axe hautement stratégique, sentence qui correspond parfaitement aux visées de l’ennemi colonialiste. Enfin, quatrième et dernière déviation, elle est d’ordre organique et constitue le premier coup d’état de la Révolution algérienne : des dirigeants du 1 er Novembre comme Boudiaf, Ben Bella, Khider et Aït Ahmed reconnus officiellement par le CNRA d’août 1957 comme ceux qui ont préparé et organisé le 1er Novembre (2), se sont trouvés exclus de l’exécutif de la Révolution (CCE), sans avoir été entendus sur leur bilan
7 - Le SDECE au service du CCE et la liquidation des opposants a la PFS
Après le « Congrès » de la Soummam, survinrent des évènements encore plus troubles. En septembre 1956, le CCE prit des dispositions pour asseoir son autorité, particulièrement en Tunisie où il était contesté par le représentant de Ben Bella, Ali Mahsas, et par les chefs des Aurès et de la base de l’Est (3). Le Colonel Ouamrane fut chargé de cette mission difficile qu’il a accomplie avec succès : pas étonnant, car à son arrivée, un bataillon de la W1, commandé par une taupe du SDECE du nom de Hadj Ali Hamdi, secondé par une deuxième taupe du SDECE, Mokhnèche Abdelhamid (4), l’attendait pour se mettre à son service, arrêtant et emprisonnant tout cadre connu pour être un opposant du CCE. Dans la prison dirigée par Hamdi sont passés des dizaines d’opposants à la PFS dont certains ont été liquidés sans jugement (réf : livre de Si Basta Arezki cité en note 5). Ali Mahsas, l’homme de confiance de Ben Bella en Tunisie, fut l’objet d’un attentat en Suisse dont l’auteur Basta Arezki a refusé d’exécuter (5), un refus qui lui vaudra la prison et les menaces de mort à son retour en Tunisie. Un autre cadre de la Révolution, Mhammed Yousfi, ex membre de l’Etat-major de l’OS, proche de Ben Bella, fut lui aussi l’objet d’un attentat à Madrid où il représentait le FLN, attentat que devait exécuter Mustapha Lakehal, un cadre chaoui de la W4 et qui s’est heureusement désisté (6). Enfin, le 14 juillet 1957 eut lieu le procès de Taborsok (7) où furent condamnés à mort et exécutés 14 officiers de la W1 dont Abbès Laghrour.
8– L’echec d’Abbane et le retour aux valeurs de novembre
Un mois après le procès de Taborsok, en août 1957, s’est tenu le CNRA, soit une année après le Congrès de la Soummam. C’est lors de ce CNRA qu’Abane Ramdane essuya une cuisante déroute politique : Ben Khedda et Dahleb, membres du CCE, ainsi que Krim, Bentobal et Ouamrane, ses compagnons présents au «Congrès de la Soummam », sont revenus sur les résolutions prises en août 56. Selon une lettre de Krim, Ben Bella, depuis sa prison, a réussi à rallier l’ensemble des cadres de la Révolution contre la PFS (8). Le fait est que les récriminations de Ben Bella à propos de cette Plateforme (9) ont été prises en considération au CNRA de 1957 : Ben Youcef Ben Khedda et Saâd Dahleb, les deux centralistes, ont été exclus du CCE et, toujours selon ses vœux, lui-même et ses 4 compagnons de détention ont été désignés dans le nouveau CCE, de même, leur rôle historique dans le 1 er Novembre reconnu et la référence aux principes islamiques comme fondements dans la conception du futur état algérien réintroduits. Ben Bella est apparu comme le vainqueur incontestable de ce CNRA. Aucun des 23 hauts cadres présents de ce CNRA, Abbane compris, n’a fait état d’une prétendue trahison de sa part lors du procès de l’OS de 1950. Bien au contraire, à la constitution du GPRA en septembre 1958, Ben Bella fut désigné Vice-président au lieu de ministre d’état comme ses quatre compagnons de détention. Le CNRA d’août 1957, faut-il le rappeler, a donné raison post-mortem aux victimes des purges sanglantes ordonnées par le 1er CCE.
9- Les tractations du SDECE et la mort d’Abbane
Après le CNRA d’août 1957, le Commandant Hadj Ali Hamdi qui a épaulé Ouamrane à son arrivée en Tunisie en septembre 1956, s’est mis de nouveau à la disposition d’Abbane qui, marginalisé, voulait prendre sa revanche contre le nouveau CCE. Hadj Ali lui proposa un plan concocté par le SDECE, révélé par un officier de la W1 Brahim Chaouali Ammar (10) consistant à enlever les membres du CCE afin de les remettre à l’ennemi dans sa base de Bizerte, un plan qui se trouvait être similaire au rapt de l’avion des cinq. Selon Si Basta, Abbane a refusé cette proposition et a envisagé un autre plan pour reprendre son autorité perdue. Son but était de retourner à l’intérieur du pays, mobiliser les chefs de wilaya contre le CCE et prendre leur commandement, ensuite imposer son autorité au CCE en la légitimant par le principe de la priorité de l’intérieur sur l’extérieur. Krim mis au parfum par un ami d’Abbane s’entretient avec ce dernier et lui promet de lui pardonner et de ne pas ébruiter cette affaire à condition qu’il renonce à son plan. Abbane, par fierté, refusa cette proposition (10), ce qui aura pour conséquence, dans un premier temps, l’arrestation du Cdt Hadj Ali et son transfert au Maroc où il est exécuté en novembre 1957(11). Un mois plus tard, Abbane subira le même sort tout en le déclarant officiellement mort au maquis.
10 - Conclusion
Après sa libération, Ben Bella lors de son arrivée à Tunis, a, dans une déclaration à la presse, tonné à trois reprises « nous sommes arabes ». Cette profession de foi a surpris beaucoup de monde, alors que Ben Bella voulait tout simplement signifier à la France, mais de manière péremptoire, l’échec de ses manœuvres néo-colonialistes visant à détacher l’Algérie du monde arabe. Il était l’un des rares dirigeants à avoir compris le sens de ses manœuvres.