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Durant une réunion, la quatrième ou la cinquième, Amirouche demande si les mintaka de l'Aurès sont autonomes. Il informe :
- Le CCE m'a autorisé à créer des mintaka là où c'est nécessaire. On m'a aussi demandé d'appliquer le système de gradation adopté au Congrès. Voilà ce que je vous propose:
d'abord, la création d'une mintaka à Arris et d'une autre à Batna, Ensuite, Si Tahar Nouchi est nommé capitaine, chef de la deuxième mintaka (Arris). Si Hadj Lakhdar, lui aussi nommé capitaine, prendra en charge la première mintaka (Batna).
La réaction de Hadj Lakhdar est rapide et violente :
- Je refuse et votre grade et votre affectation! De quel droit venez-vous nous imposer vos décisions?
Amirouche répond qu'il ne fait qu'appliquer les directives du CCE. Lamouri et Méchiche calment Hadj Lakhdar. Ils appréhendent son caractère entier et rugueux. A leur surprise, il admet leurs explications concernant le CCE, mais s'obstine à refuser grade et affectation.
Amirouche n'insiste pas. Il nomme Ahmed Nouaoura capitaine, Ali Méchiche et Brahim Kabouya lieutenants. Devant l'opposition de Hadj Lakhdar, il désigne Lamouri à sa place, comme chef de la 1er mintaka. Ce qui ne dérange nullement Hadj Lakhdar qui représente le type même du militant pur et dur. Après cela, le voyage continue sans incident. Hadj Lakhdar m'a raconté bien après:
- Amirouche, qui n'a ni les yeux, ni les oreilles dans sa poche, s'est bien vite rendu compte des rivalités entre ses hôtes et surtout de leur désunion. Nouichi lui a brossé un tableau noir de la situation en Aurès. Il l'a expressément mis en garde contre Adjoul qui, « si l'occasion lui en est donnée, n'hésitera pas à le tuer ». En revanche, il a tout fait pour rapprocher Amirouche de Omar Ben Boulaïd, mais sans résultat.
- Pourquoi ?
- Parce que Omar a constamment persisté dans son refus d'avaliser les décisions du Congrès peut-être à cause du rejet par le CCE de sa prétention à être le chef de l'Aurès. Qui sait ?
La date fatidique du 23 mars 1956 a sonné le glas pour l'Aurès et les Némemcha. Adjoul et Abbas ne se voient plus ou rarement. Ils reçoivent, chacun de son côté, une convocation pour assister au Congrès de la Soummam. Ils n'y prendront pas part, eux, les militants de la première heure, qui ont réussi le baptême du feu et guidé les premiers pas de la Révolution dans des conditions inhumaines et qui auraient eu tellement d'idées à proposer.
Adjoul, maintenant, ressent une profonde désillusion. Il a tout fait pour prendre le pouvoir et le pouvoir lui éclate entre les mains, telle une bulle de savon. Tout se dilue autour de lui. Il entend et on lui rapporte les rumeurs les plus folles qui courent sur son compte, distillées par Omar Ben Boulaid et Messaoud Benaïssa. Des hommes parmi les siens, des Serahna, ont été arrêtés par des Ouled Yacoub, puis relâchés après avoir été endoctrinés:
- Ne faites plus confiance à Adjoul ! C'est un ambitieux, un assassin.
Les Touaba, les Béni Oudjana, les Bouslimani, les Bradja, les Ghouassir, les Béni Melloul, les Ouled Abderrrahmane et tous les autres pensent qu'il est un homme à histoires. Maintenant, il faut leur ajouter une partie des Serahna, sa propre tribu, et des Chorfa, ses alliés de toujours. Une majorité de tribus est contre lui. Ne dit-on pas que la main de Dieu se trouve avec lu majorité? A quelques jours du deuxième anniversaire de la Révolution, le pessimisme est de rigueur. Pour avoir le cœur net, Adjoul charge Ali Benchaïba et Messaoud Belaggoune d'enquêter à Chélia et Ahmar Khaddou. Ils lui rapportenl l'existence d'un consensus contre lui.
Aussi, quand un tissai l'informe que Hadj Lakhdar, Tahar Nouichi et un certain Amirouche lui demandent de les rejoindre à Kimmel, il entrevoit une lueur d'espoir et s'empresse de leur dépêcher une patrouille pour sonder leurs intentions. « La nuit suivante, leur réponse m'est parvenue », me dit-il «Hadj Lakhdar m'informait qu'il se portait garant de ma sécurité, que la réunion n'avait pas d'autres buts que la réorganisation des zones et une nouvelle répartition des tâches. Par mes tissal, je savais que Omar et Benaïssa étaient descendus de Chélia avec une centaine d'hommes et qu'ils avaient pris leurs quartiers à Lemsara, 5 kilomètres au nord de Sidi Ali. A titre de précaution, je poste dix hommes à Djeniène, me rends à Bouchet Ennedjem, au-dessous de Sidi Ali avec une escorte de trois combattants. C'est là, au milieu de la forêt, que je rencontre Hadj Lakhdar, Nouichi, Amirouche, Méchiche et Lamouri»
En homme respectueux des usages, Adjoul réserve un bon accueil à ses hôtes (bien à tort, Hadj Lakhdar et Nouichi l'ont pris à part avant la réunion et lui ont recommandé la courtoisie envers Amirouche). Sa mintaka de Kimmel est riche de plusieurs quintaux de ravitaillement. Café, biscuits secs, galette fine, dattes sont servis. Adjoul prend la parole : « Je souhaite la bienvenue à nos respectables visiteurs. Pour ma part, si j'ai accepté de venir, c'est parce que, parmi vous, se trouve Hadj Lakhdar, en qui j'ai une confiance totale. »
Extrait du livre "Les tamiseurs de sable" - Mohamed-Larbi Madaci