Le Blog de la guerre d'algérie, texte inédit, photos rare, des vidéos et interactions
Bigeard, qui était un des rares militaires à avoir compris la guérilla et ses principes savait que Ben M’Hidi était à l’image du grand idéal qu’il symbolisait. Et le chef français avait de l’estime pour son adversaire. Ben M’Hidi avait vécu parmi les maquisards du djebel, puis au cœur du maquis urbain, dans la Casbah. Bigeard lui-même vivait la même vie monacale que Ben M’Hidi, toujours parmi ses troupes. Il savait qu’un chef révolutionnaire «ne peut tirer son autorité que par les vertus qu’il incarne et qui sont justement celles que l’on désire voir triompher», comme il l’écrira plus tard.
Et les deux hommes eurent de longues conversations. Ben M’Hidi ne fut pas torturé "au moins au P.C. de Bigeard". Il y eut même un fort courant de sympathie entre les deux combattants. Ben M’Hidi expliqua à Bigeard ce qu’était la guerre révolutionnaire: «Pure, universelle, longue et dure.»
Même prisonnier, le jeune chef révolutionnaire triomphait : «La guerre couvre l’ensemble du territoire algérien et se fait dans tous les domaines; elle marque de sa profonde empreinte l’existence de chacun.»
Bigeard le constatait tous les jours, lui qui avait appliqué la contre-méthode: «Puisque chacun apporte sa contribution à la guerre populaire, chacun sait quelque chose et il doit nous le dire... »
Le colonel français retrouva chez Ben M’Hidi l’absence de considération morale, quant aux moyens employés pour obtenir la victoire, qu’il avait constatée chez Hô Chi Minh, qu’il avait apprise aussi.
Ben M’Hidi lui avoua être écœuré de l’emploi de la bombe contre des femmes et des enfants innocents...
« Mais je l’utilise, ajouta-t-il, parce que je l’estime nécessaire pour le triomphe de la cause... et une bombe est préférable à un long discours. »
Les deux adversaires évoquèrent aussi les buts de la guérilla: briser le moral, l’esprit combatif et l’efficacité militaire de l’adversaire. Dans la contre-guérilla, Bigeard poursuivait les mêmes buts.
«Mais en Algérie, ajouta Ben M’Hidi, vous devez faire trop de choses pour pouvoir gagner. Nous, nous détruisons les petites unités, nous attaquons les lignes de ravitaillement et les points sensibles, nous détruisons les propriétés en terrorisant certains. Alors que vous dispersez vos forces pour protéger tous ces points à la fois.»
Les rapports d’estime entre ces deux hommes que sont Bigeard et Ben M’Hidi paraîtront tout à fait fantaisistes à ceux qui ne veulent voir un problème qu’avec une orientation particulière. Que ceux-ci méditent ce qu’écrit Bigeard, alors que la propagande française s’efforce de prouver que la population ne suit le F.L.N. que sous l’emprise de la terreur: «Ces actions sont d’autant plus efficaces qu’elles s’accompagnent d’une intense propagande destinée à faire participer par la crainte, parfois, plus souvent, la persuasion et l’enthousiasme, toute la population au combat.»
La dernière de ces conversations eut lieu dans la nuit du 3 au 4 mars 1957. Pour la première fois au cours de cette guerre, le magnifique soldat qu’était Marcel Bigeard avait trouvé son alter ego. Les deux hommes parlèrent une grande partie de la nuit. Ils discutèrent de pair à pair.
Une dernière fois, Ben M’Hidi parla à cœur ouvert de la révolution, de son évolution, du résultat qui ne faisait pas de doute. Il laissa même entendre à Bigeard qu’il souhaitait disparaître avant la fin du combat tant il était sûr de l’issue victorieuse pour son peuple mais tant -aussi- il redoutait les méfaits de la « politicaille ».
Une dernière fois touché par cette confidence faite d’homme à homme, Bigeard eut de la sympathie, du respect même pour un adversaire à sa taille. Un homme qui ne se laisserait jamais tourner. Même par les siens. Un homme « irrécupérable ».
Bigeard apprit que Ben M’Hidi avait été fusillé à l’aube. Avant sa mort, on lui avait présenté les armes. Le peloton avait rendu les honneurs militaires à sa dépouille. Ben M’Hidi était mort en seigneur.
Saura-t-on un jour qui donna l’ordre de l’exécuter? Oui, Paul Aussarésse... Même si les conditions de sa liquidation ne feront pas l'unanimité.
Le colonel Bigeard tint à expliquer le courant qui était passé entre son adversaire et lui-même. Le respect qu’il portait à sa mémoire. Mais tout cela, c’étaient de beaux sentiments -et la politique menée ne pouvait s’embarrasser de beaux sentiments. Ben M’Hidi était l’un des chefs felagas, on ne pouvait raconter à la presse- de droite ou de gauche -les conditions réelles de la mort de Ben M’Hidi. Michel Gorlin avait fourni une explication plausible aux journalistes.
«Messieurs, Ben M’Hidi Larbi s’est pendu dans sa cellule avec des lambeaux de sa chemise.»
Telle fut la version officielle de la mort du chef F.L.N.
Selon leurs opinions, les uns trouvèrent que «ce salaud n’avait même pas eu le courage d’affronter ses juges». Les autres échangèrent des sourires entendus, bien persuadés que Ben M’Hidi était mort sous la torture entre les mains des parachutistes.