Le Blog de la guerre d'algérie, texte inédit, photos rare, des vidéos et interactions
Non seulement la prédominance de l'intérieur sur l'extérieur lui enlevait tout espoir de direction effective, mais la prédominance du «politique» sur le «militaire» montrait l'arrivée en force à la direction du Front de vieux politiciens algériens marqués par leur action notamment des U.D.M.A., des centralistes et des uléma. En ce sens, et tout en l'ignorant, Ben Bella rejoignait les thèses que Ouamrane avait défendues au congrès.
A Tripoli, Ben Bella fit le point avec le seul homme sur lequel il pût compter: Ali Mahsas. Leur ligne de conduite était claire: il fallait à tout prix éviter le retour de vieux politiciens dans les rouages de la révolution. Ce congrès de la Soummam facilitant leur retour, Ben Bella l'interpréta comme l'expression de la volonté d'Abane de «faire de la clientèle» à l'intérieur de l'état-major du Front. Déjà Ben Bella avait eu, comme on l'a vu, de sérieuses prises de bec avec le Dr Lamine Debaghine, envoyé d'Abane au Caire, mais ces accrochages s'étaient poursuivis avec Ferhat Abbas, qui ne reconnaissait pas l'autorité de Ben Bella. Ali Mahsas poussa Ben Bella à réagir. «Ces vieux, lui dit-il, ne peuvent pas comprendre, encore moins diriger une révolution qui s'est déclenchée sans eux, le congrès de la soummam est une déviations idéologiques et politiques de la révomution» Ben Bella prit position contre les décisions du congrès de la Soummam mettant en cause la représentativité de ses membres.
«Ben M'Hidi, dit-il, originaire de l'Est ne représentait plus l'Oranie. Il n'y avait aucun délégué de l'Aurès ni de la Fédération de France, pas plus que la délégation de l'extérieur, il ajoute, on nous a invités à nous rendre en Libye -ce que nous fûmes- en vue de nous rendre sur le territoire national et participer activement aux travaux du congrès et ses décisions. Nous avons attendu trois semaines sans que personne ne vient nous chercher. Le congrès était positif sur certains points, mais ne saurait décider de l'avenir de la révolution. Il fallait le compléter.»
Bref, Ben Bella ne reconnaissait ni le congrès ni ses décisions. La confiance était définitivement rompue. Le congrès marquait la scission extérieur-intérieur et était l'aboutissement de la querelle qui opposait Abane à Ben Bella.
Cette opposition se manifesta à Tunis où, à son retour, Mahsas trouva des représentants du C.C.E.: Ben Aouda, Kaci et Mezhoudi. «Si vous venez pour coordonner les activités, leur dit Mahsas, je suis d'accord sur votre présence. Si vous venez pour représenter l'autorité du C.C.E., moi je ne vous reconnais pas. Ce congrès partiel ne peut engager la révolution.»
C'était l'affrontement. Les représentants de l'intérieur se tinrent dans un prudent statu quo après que Mahsas eut menacé de faire intervenir les troupes de l'Est sur lesquelles il semblait avoir un certain pouvoir. Mahsas venait de signer son arrêt de mort. On verra dans quelques semaines Ouamrane, venu d'Alger, régler le problème à sa manière. Forte.
Ben Bella avait engagé dans sa prise de position la délégation extérieure de 1954, c'est-à-dire Khider et Ait Ahmed. Les deux hommes, qui s'étaient opposés à plusieurs reprises aux décisions unilatérales de leur compagnon, réagirent violemment. Ait Ahmed revint en hâte de New York à Madrid où l'attendait Khider. Il apprit en bloc qu'un congrès s'était tenu deux mois auparavant à la Soummam, que l'extérieur y avait été invité, que personne n'avait trouvé le moyen de pénétrer en Algérie et que Ben Bella, tout en ayant négligé de prévenir Ait Ahmed à New York, avait répondu pour lui aux décisions du congrès. «Ben Bella rejette la plate-forme de la Soummam, annonça Khider. Il va d'ailleurs arriver d'un jour à l'autre à Madrid avec Boudiaf.» Ait Ahmed, qui avait protesté à plusieurs reprises contre l'absence d'information venant du Caire, piqua une violente colère. Khider essaya de calmer son beau-frère. «C'est un véritable miracle, lui dit-il, que notre révolution ait réussi à mettre sur pied un programme aussi précis que celui de la plate-forme de la Soummam. C'est l'œuvre de l'intérieur et surtout d'Abane. Ben Bella est fou de rage contre lui.» Ait Ahmed se promit de dire son fait à Ben Bella avant la conférence de Tunis.