• L'Étau

    L'Étau

    L'étau se resserre dans l'Est algérien. On voit ici un parachutiste contrôler l'identité d'un paysan dans les environs de Foum Toub, le 10 novembre 1954, lors d'une « opération de nettoyage » dans la région de l'Aurès où, comme en Kabylie, des maquis s'organisent depuis de nombreuses années.


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  •  Etat major AurèsBen Boulaïd avait besoin de faire le point. Ses incessantes allées et venues d'Alger à Batna, de Batna à Alger, les tournées dans l'Aurès ne lui en laissaient pas le temps. En ce bel après-midi de septembre, assis au milieu des touffes de thym, d'alfa sauvage, abrité du vent par les chênes nains, les arbres à gingembre et les oliviers sauvages, Mostefa Ben Boulaïd était assez satisfait. L'Aurès, qui avait été centraliste, était maintenant gagné au mouvement révolutionnaire. Fin août, en compagnie de Chihani Bachir, son premier lieutenant, Ben Boulaïd, qui était resté dans l'ombre jusque-là, avait interdit l'entrée de l'Aurès aussi bien aux messalistes qu'aux centralistes et avait annoncé aux militants sur lesquels il savait pouvoir compter la création d'un nouveau parti,  « Hizb Ethaoura», doublé d'un organisme militaire,  « Djich Ethaoura », au sein duquel il incorporait les hommes favorables au C.R.U.A. Ben Boulaïd avait déjà établi dans l'Aurès les deux organismes que les Six se promettaient de créer avant le jour J et que le monde allait connaître sous le nom de F.L.N. (Front de libération nationale) et d'A.L.N. (Armée de libération nationale). Dès la fin de juillet, Ben Boulaïd avait constitué, avec les chefs de Kasma d'Arris et de Foum-Toub, des groupes dans chaque douar. A ces hommes il avait expliqué le remplacement du M.T.L.D. par « Hizb Ethaoura » et les avait « chauffés » en parlant d'ordres venus du Caire, d'une levée en masse du Maghreb arabe et d'un prochain encadrement par des Algériens venant d'Egypte.

    Ben Boulaid se montrait capable de jouer trois coups à l'avance, en affirmant l'implication de l'Égypte voulait ainsi dire que Messali n'était pas seul chef capable de faire bouger les choses et d'établir des contact au niveau international, privé d'une tête de liste, après s'être épuisé les derniers espoirs de voir le Dr. Debaghine rejoindre leurs efforts, a vu juste de donner une image internationale aux vrais dirigeants de la révolution en germes, par ailleurs il était habile d'évoquer l'Egypte, que les ondes radios de Sawt El-Arabe (La voix Arabe) diffusait depuis le Caire, parvenaient jusqu'à cette région oubliée de l'administration française, ce qu'aurait facilité plus-au-moins la prise en main de la population, d'où une compagne psychologique prenait une importance double, sans oublier la couverture que cela aurait garantie aux six chefs historique.

    Dans les villes du pourtour de l'Aurès, c'est Chihani qui avait recruté pour le C.R.U.A. Ben Boulaïd était allé à Khenchela pour étudier la situation et y avait installé son deuxième homme de confiance : Laghrour Abbès. Le recrutement avait continué selon les méthodes de cloisonnement en vigueur pour le C.R.U.A. Connaissant l'Aurès comme sa poche, Ben Boulaïd avait su jouer avec les particularismes locaux et avec les capacités de chacun. Chaque membre recruté était séduit par l'action directe mais le patron de l'Aurès comptait surtout sur ses montagnards pour agir au jour J. Les citadins, eux, serviraient de guides et de conseillers politiques. Avec Chihani et Laghrour, Ben Boulaïd avait mis au point les thèmes de la propagande. Là encore il s'agissait de les adapter à la culture politique de chacun. Pour Batna, qui serait l'épicentre du soulèvement de l'Aurès le thème développé était le suivant : prendre l'initiative de l'action afin d'éviter le déchirement interne du parti en l'amenant à se regrouper en un seul bloc autour du sacrifice des moudjahidines. 

    Les résultats dans tous les secteurs de l'Aurès étaient remarquables. Chaque groupe, chaque kasma importante, avait à sa tête un chef et un comité avec un responsable local, un responsable de la police intérieure, un autre pour les finances, pour les affaires islamiques, pour les affaires syndicales.

    Ben Boulaïd et ses adjoints Chihani Bachir et Laghrour Abbès se trouvaient dès lors à la tête de quatre cents hommes organisés, politisés, réunis en cellule et groupe d'action. En outre ils avaient la plus importante réserve d'armes d'Algérie.

    Ben Boulaïd sortit de sa poche l'organigramme qu'il montrerait dans six jours à ses compagnons. Voilà comment se présentait l'Aurès :

    Chef de zone : Ben Boulaïd.

    Adjoints : Chihani, Adjoul et Laghrour.

    Kasma de Batna: 50 militants.

    Localité d'El-Kantara: 10 hommes.

    Localité Mac-Mahon: 10 hommes.

    Localité Ghemora: 40 hommes.

    Kasma de Khenchela: 60 hommes.

    Kasma de Foum-ElToub: plus de 100 hommes.

    Kasma d'Arris: environ 100 hommes.

    Sans compter dans ces effectifs les hommes des « bandits de l'Aurès », de Grine Belkacem et de Maache dont l'opération « Aiguille » n'avait même pas découvert la trace !

    Ben Boulaïd était prêt à passer à l'action dans sa région mais il restait encore de nombreuses tâches de coordination à mettre au point sur l'ensemble du territoire et en liaison avec l'extérieur. Il fallait frapper un grand coup. Réaliser une opération psychologique de grande envergure. Et Ben Boulaïd n'ignorait pas que si l'Aurès pouvait résister, former le cœur de l'insurrection, un cœur qui battrait longtemps, les autres régions, à l'exception de la Kalybie, ne pourraient résister et devraient se borner à une action d'attentats sans très grande envergure. Il fallait compenser le peu de moyens matériels par une « action psychologique » soigneusement mise au point, qui démontrerait l'existence d'un mouvement capable de coordonner une action terroriste sur toute l'étendue du territoire algérien. Et cela demandait du temps.


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  • Othman Belouizdad parle Messali

    Témoignage inédit sur le WEB de Othman Belouisdad, membre de l’organisation secrète OS et des 22, parle de Messali face a la crise de scission du parti et du CRUA…


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  • 20 Août 1955 - Philippeville

    20 Août 1955 - Philippeville

    La population européenne de la région de Philippeville (actuelle Skikda), dans l'est du territoire, se recueille devant les cercueils des soixante-et-onze Européens massacrés par des paysans algériens armés de haches et de serpes, pendant la tentative d'insurrection du 20 août 1955. Cet événement est considéré par les historiens comme le basculement dans la guerre, avec le rappel de 60 000 jeunes soldats du contingent. Pendant ces obsèques, des Européens, furieux de ne pas avoir été autorisés à s'armer et à se constituer en milices d'autodéfense, ont provoqué de violents incidents, piétinant les gerbes déposées par les officiels et conspuant le préfet. L'absence de photographies du massacre du 20 août s'explique par le fait que les organes de presse avaient envoyé toutes leurs équipes non en Algérie mais au Maroc, où l'on s'attendait à des troubles, à la date anniversaire de la déposition du sultan par le pouvoir français.


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  • Boudiaf face au travaille de sape centralisteIl faisait gris lorsque Boudiaf quitta Constantine. Boudiaf pressa le pas et remonta la rue Caraman, une des plus étroites mais des plus animées des rues de Constantine. Des gosses passaient en criant les journaux. Mais ce jour-là Boudiaf se souciait peu des nouvelles. La « formidable opération Aiguille » dont on parlait encore ne l'intéressait pas. C'était l'affaire de Ben Boulaïd et des « bandits » de l'Aurès. Ceux-là, ce n'était pas une « opération d'envergure » qui allait leur faire peur ! Mohamed Boudiaf aurait parié un sac de cacahuètes que les quatre cents ou cinq cents hommes de l'Aurès étaient tellement bien dissimulés dans les caches d'une montagne dont ils connaissaient les moindres pitons, les moindres escarpements, les moindres sentiers, que les bons C.R.S., habitués au maintien de l'ordre des villes, n'arrêteraient que d'inoffensifs bergers et ne feraient qu'oxygéner leurs poumons ! Boudiaf avait d'autres soucis en tête. Président du C.R.U.A. et chargé des relations avec l'extérieur il venait pour régler une affaire de taille : Lahouel, qui ne se contente pas de les laisser tomber, de ne pas donner l'argent promis, était parti en guerre contre le C.R.U.A. Et avec un succès certain. Il accusait le C.R.U.A. de « mener le peuple à l'abattoir ». De vouloir déclencher une révolution alors que rien n'était prêt, qu'il n'y avait ni armes, ni moyens, ni aide extérieure importante. Il soutenait que le peuple ne survivrait pas, qu'il fallait d'abord épuiser les ressources de la lutte politique. Lahouel et ses centralistes se trouvaient bien à la mairie d'Alger et n'avaient rien trouvé de mieux que de tenter de « débaucher » du C.R.U.A. des éléments « mouvants » et influençables : « Nous aussi nous sommes pour l'action, mais il faut encore attendre... » Et Lahouel était passé à l'action à sa façon. Il avait précédé Boudiaf à Constantine. Bien renseigné sur les participants à la réunion des Vingt-deux, il avait décidé de convaincre les Constantinois de la « folie dans laquelle ils allaient se lancer... » Et il y avait parfaitement réussi. Habachi, Lamoudi Abdelkader, Mechatti, Saïd et Rachid faisaient les morts. On n'avait plus de nouvelles de ces « hommes de confiance ». Didouche n'avait pas réussi à les joindre et Boudiaf s'était décidé à prendre le taureau par les cornes et à aller voir sur place ce qui se passait. Il avait demandé 150 000 des 500 000 AF donnés, lors des premiers contacts, par Lahouel au C.R.U.A. Bouadjadj, qui tenait la caisse, les lui avait confiés en riant : « C'est son propre fric qui va nous servir à le combattre ! » Mais Boudiaf n'avait pas envie de rire. Encore moins aujourd'hui à Constantine ! Car il venait bel et bien d'essuyer un échec. Les cinq Constantinois se « dégonflaient ». Lahouel les avait bien convaincus. Le travail de sape avait été efficace.

    « Tu comprends, avait dit Mechatti, on n'a aucune chance. On n'a même pas la population avec nous. Et on ne l'aura pas ! Ne comptez plus sur nous. Nous ne parlerons pas. On ne dira rien mais on laisse tomber. » Rien n'y avait fait. Ni les supplications ni les menaces. Boudiaf avait dû battre en retraite. Et ce matin-là il était d'aussi méchante humeur que le temps était gris. C'était un coup dur. Constantine ne bougerait pas ! C'étaient en outre les premières défections qu'enregistraient les hommes du C.R.U.A. Jusque-là tout avait bien marché. Ils n'étaient peut-être pas très nombreux, pas bien armés, mais profondément convaincus. Ils formaient un bloc uni. Ils se donnaient confiance mutuellement. La faille constantinoise lorsqu'elle serait connue risquait d'avoir des conséquences incalculables et imprévisible sur le moral des troupes.

    Boudiaf était arrivé boulevard de l'Abîme où une voiture l'attendait. Le militant qui conduisait ne le connaissait pas. Il avait des ordres pour conduire son passager à Alger. Il le déposa sept heures plus tard au tournant Rovigo à la Casbah. Un drôle de passager ! Il n'avait pas ouvert la bouche !

    Il était 18 heures. Avec un peu de chance Bouadjadj serait encore au café Ben Nouhi, rue du Rempart-Médée. Boudiaf avait envie de se confier, de parler, de maudire ce fils de p... de Lahouel. Il rencontra Bouadjadj au coin du boulevard Gambetta et de la rue Henri-Rivière. Ce ne serait pas la peine d'aller au café ! Les deux hommes se serrèrent la main.

    « Échec complet, dit Boudiaf, Lahouel les a convaincus. Ils nous laissent tomber !

    — C'est la catastrophe ! répondit Bouadjadj. Et tu ne sais pas tout. Demain, à Blida, Lahouel et Yazid ont préparé une réunion des militants sûrs de la région. Et là ils sont forts ! »

    Boudiaf serra encore plus ses lèvres pincées par la colère. Les mâchoires bloquées il lâcha :

    « S'ils veulent la bagarre, ils l'auront. Demain, je serai à Blida ! »

    «... Ces hommes veulent vous entraîner dans une aventure sans issue ! »

    Boudiaf tassé sur sa chaise écoutait depuis une heure M'hamed Yazid et Lahouel qui tentaient de rééditer leur exploit de Constantine. Dans le local du M.T.L.D. de Blida ils avaient réuni des militants de la région, des paysans, des ouvriers agricoles. Ils étaient une vingtaine en djellabas usées ou en chemises et pantalons maculés de terre. Un chiffon entortillé sur la tête. Bouchaïb et Souidani, chez qui une grande partie du matériel et des bombes était entreposée, entouraient Boudiaf. Les militant qui écoutaient Yazid et Lahouel regardèrent les trois hommes, hésitants. Ce que disait Lahouel était sensé mais un Souidani, presque francisé, toujours en veston avec sa croix de guerre 1945 au revers, n'était pas un fanatique qui les enverrait à la mort pour le plaisir. Et Souidani et Bouchaïb étaient du C.R.U.A. et les avaient contactés. Lahouel sentit la situation, il se savait dans une région où il était très fort. Autant Alger était messaliste, autant l'Algérois était centraliste. Malgré cet avantage il sentit que ce serait plus dur qu'à Constantine. Mais s'il avait gagné dans le pays d'origine de Boudiaf, pourquoi pas à Blida ? Il décida de frapper un grand coup.

    « Ce serait de la folie de se lancer dans cette aventure, s'écria-t-il, sans armes, sans soutien ; vous irez à la mort. Notre parti perdrait ses meilleurs éléments. Et d'ailleurs qui nous dit que ce n'est pas le but de ces hommes ? Qu'ils ne sont pas des agitateurs... »

    Un murmure parcourut le petit local. Là, Lahouel y avait été un peu fort.

    Boudiaf se leva et le poussa légèrement.

    « J'écoute en silence depuis une heure les arguments de ces deux-là ; c'est un peu mon tour de parler... »

    Et d'une voix sourde, cette voix de tuberculeux, diront plus tard ses amis, cette voix qui sort d'une poitrine malade mais qui sait convaincre et prendre aux tripes, Boudiaf reprit les arguments d'unité et d'action qui avaient présidé à la création du C.R.U.A. Il retraça calmement les querelles internes Messali-Lahouel, les discutailleries, les palabres dans lesquelles s'enlisait le nationalisme algérien, pendant « qu'à droite et à gauche, en Tunisie et au Maroc, les ailes bougent, le corps algérien reste immobile, terrassé par des querelles stériles ». Oui, le C.R.U.A. n'avait pas de grands moyens mais dès que la révolution aurait éclaté, dès que le monde saurait, alors l'aide arriverait. Il parla de l'Indochine, des victoires des Viets et même de la Résistance française. Il parla du statut de 1947, des colons, des élections truquées. Il fit le grand numéro. « Et vous suivriez des hommes qui vous conseillent de ne rien faire ?... »

    Lahouel reprit la parole. Le duel qui se déroulait devant leurs yeux fascinait les quelques militants présents. Lahouel expliqua le désir des centralistes de passer eux aussi à l'action mais il était nécessaire avant tout d'être unis et d'avoir réglé le problème Messali.

    C'était plus que ne pouvait en supporter Boudiaf. Cette fois, il était furieux. « Et ça recommence, hurla-t-il, Messali-Lahouel Lahouel-Messali. Ils ne pensent qu'à cela. Écoutez-moi bien... »

    Et il se tourna vers Lahouel et M'hamed Yazid, interdits par la violence de sa harangue qui contrastait avec le calme de sa première intervention.

    « Écoutez-moi bien, vous tous. La révolution, elle se fera. Avec ou sans vous. Avec ou contre vous. C'est inéluctable. La machine est en marche, rien ne pourra maintenant l'arrêter».


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